An de Rome 674 (-80): Lucius Cornelius Sylla Felix est donc consul pour la seconde fois, avec Quintus Caecilius Metellus Pius. Cependant, Sylla, qui n'est plus protégé par son titre de dictateur, s'attend à passer une année difficile. Et il craint de ne pas s'entendre avec son collègue: ''il regardait même comme une des faveurs particulières de cette divinité l'union constante dans laquelle il vécut avec Metellus, qui avait la même dignité que lui et qui fut depuis son beau-père. Au lieu des difficultés qu'il s'attendait à éprouver de sa part, il trouva en lui le collègue le plus doux et le plus modéré'', révèle Plutarque.

METELLUS PIUS ET SYLLA

Malgré la mort de sa cousine Metella, Quintus Caecilius Metellus Pius s'entendait très bien avec Lucius Sylla. Tout d'abord, l'année précédente les pontifes ont coopté (où Sylla a nommé?) Metellus Pius Pontifex Maximus, soit le plus haut rang religieux à Rome. Le Pontifex Maximus établit les jours fastes et néfastes, il consacre les édifices, garde les livres sacrés, préside les cérémonies religieuses les plus importantes, et tient les archives de Rome. En bref, Sylla et Metellus se partagent le pouvoir à Rome, ou plus exactement, Sylla délègue une partie de son pouvoir à Metellus comme cela est le cas depuis qu'il l'a rejoint dans la Guerre civile.

Un denier de Metellus

Et Metellus Pius, influencé par Sylla, changea de caractère: ''En effet Metellus, ce qu'on n'aurait pas cru, avait une conduite dissolue, s'étant livré sans réserve au goût du plaisir; et soudain un changement total avait substitué à son sérieux d'autrefois l'orgueil et la profusion'', rapporte Plutarque. Son changement fut tel que quelques années plus tard, en Ibérie, Metellus ''souffrait qu'on lui élevât des autels et qu'on lui brûlât de l'encens, lorsqu'il contemplait avec satisfaction les murs de son appartement tendus d'étoffes brochées d'or, lorsqu'il permettait qu'à des festins splendides on mêlât des spectacles somptueux, lorsqu'il assistait à des banquets en habit de triomphateur et qu'il recevait des couronnes d'or qu'on faisait descendre du haut des lambris sur sa tête, comme sur la tête d'un dieu'' s'étonne Maxime Valère.

L'AFFAIRE CHRYSOGONUS

Au mois de janvier, Sylla eut fort à faire avec un procès concernant son principal intendant, Lucius Cornelius Chrysogonus. Chrysogonus est un affranchi grec, sans doute vivant depuis fort longtemps dans l'entourage intime du dictateur, affrachi par ce dernier. Un esclave s'occupant de l'administration d'un riche citoyen romain, c'est chose courante à Rome et personne ne s'en offusque. Ayant une confiance totale en Chrysogonus, Sylla lui confia la rédaction des listes des proscriptions. Bien sûr, Chrysogonus en profita. Il put s'acheter une belle maison, de la vaisselle d'argent, des parfums de prix. Il organisa des festins, fit venir des musiciens et des danseurs. Bref, la vie est belle quand on est un des hommes de mains de Sylla. Là-dessus, à l'automne précédent, Sextus Roscius, le municipe de la ville d'Amérie, un homme très riche (sa fortune étant en effet évaluée à plus de six millions de sesterces), se fait assassiner à Rome par deux des membres de sa famille qui convoitaient ses biens. Sextus Roscius est alors un des partisans de Sylla, et il fréquente les plus nobles familles de la ville. Cependant, les deux assassins, prêt à tout pour s'adjuger les biens de Roscius vont, quatre jours après leur crime, voir Chrysogonus, qui était alors avec Sylla à Volaterrae, afin de faire inscrire Roscius sur la liste des proscrits. Le but de l'opération étant de rendre cet assassinat légal et de se partager à trois les biens du municipe d'Amérie. Sauf que les proscriptions étaient closes depuis juin et que Roscius était un partisan de Sylla!

Chrysogonus, sans doute flatté du pouvoir qu'on lui accordait, fit rajouter Sextus Roscius sur la liste des proscrits sans en parler à Sylla, et fit mettre ses biens en vente. Chrysogonus racheta le tout pour… 2000 sesterces! L'injustice était trop criante. Le fils de Sextus Roscius fut immédiatement dépouillé et toute la ville d'Amérie cria au scandale. Une délégation alla sur le champ porter plainte auprès de Sylla, que tout cela ne pouvait être qu'une erreur. Sauf qu'à Volaterrae, la délégation tomba sur… Chrysogonus, qui bien entendu, dit qu'il ne fallait pas déranger le dictateur et qu'il allait s'occuper de tout. En effet, Chrysogonus ''craignait plus que la mort que Sylla n'en fut instruit'', rapporte Cicéron. Pendant ce temps, les deux assassins cherchent par tous les moyens à tuer Sextus Roscius fils afin que la plainte n'aboutisse jamais. En désespoir de cause, Roscius finit par aller demander asile à la grande prêtresse Caecilia Metella Nepos. Chrysogonus et les assassins, dont Capiton, le cousin de Roscius, n'ont plus d'autre choix que d'entamer une procédure judicaire. Ils accusent donc Roscius de parricide. A Rome, c'est une accusation très grave, le pire des crimes, et une mort horrible attend le condamné. En effet, celui-ci était fouetté puis on l'enfermait dans un sac avec un chien affamé, un singe, un coq et un serpent. Enfin, le sac était jeté dans le Tibre. Chrysogonus est représenté le célèbre procurateur Erucius. Du côté de la défense, Roscius est représenté par le jeune avocat Marcus Tullius Cicéron. Comme Roscius est un client des Metellii, ce sont eux qui ont engagé Cicéron. Il n'était pas facile de trouver un avocat, car tous craignaient de déplaire à Sylla en attaquant directement son intendant.

Cicéron

Plusieurs versions s'affrontent sur cette affaire. L'une de Plutarque: ''Chrysogonus, affranchi de Sylla, ayant acheté, pour la somme de deux mille drachmes, les biens d'un homme que le dictateur avait fait mourir, comme proscrit, Roscius, fils et héritier du mort, indigné de cette vente inique, prouva que ces biens, vendus à si bas prix, valaient deux cent cinquante talents. Sylla, qui se voyait convaincu d'une énorme injustice, fut très irrité contre Roscius; et, à l'instigation de son affranchi, il fit intenter à ce malheureux jeune homme une accusation de parricide. Personne n'osait venir à son secours; l'effroi qu'inspirait la cruauté de Sylla éloignait tous ceux qui auraient pu le défendre. Le jeune Roscius, abandonné de tout le monde, eut recours à Cicéron, que ses amis pressèrent vivement de se charger d'une affaire qui lui offrait, pour entrer dans la carrière de la gloire, l'occasion la plus brillante qui ne pût jamais se présenter. Il prit donc la défense de Roscius''. Ainsi, selon cette version, Chrysogonus n'était pas accusé de complicité, mais juste d'avoir profité des proscriptions pour s'enrichir. Et c'est Sylla qui aurait accusé Roscius de parricide!

Il est vrai que les proscriptions sont au centre de cette affaire, comme le souligne Cicéron: ''Personne n'ignore que beaucoup de gens ont profité des grandes occupations de Sylla, pour commettre des injustices qu'il n'a pas sues et qui ont échappé à ses yeux''. Mais Sylla aurait-il accusé Roscius de parricide? Dans ce cas, cela aurait été un règlement de compte entre Sylla et les Metellii via Roscius et Chrysogonus. Or, cette version est récusée par Cicéron lui-même dans le procès tenu en place publique: ''Je sais, et je le sais avec certitude, que tout s'est fait à l'insu de Sylla. En effet, considérez que Sylla est occupé à la fois à régler le passé, à préparer l'avenir; qu'à lui seul est remis le pouvoir d'établir la paix et de conduire la guerre; que tous les yeux sont fixés sur lui seul; que seul il gouverne tout; que, surchargé d'affaires de la plus haute importance, il n'a qu'à peine la liberté de respirer: considérez surtout qu'une foule de subalternes observe le temps de ses occupations, épie le moment d'une distraction, pour se livrer au crime; et vous ne serez pas surpris qu'il échappe quelque chose à sa vigilance. D'ailleurs, quoiqu'il jouisse d'un bonheur sans exemple, quel mortel peut être assez heureux pour n'avoir pas, dans un nombreux domestique, un esclave ou un affranchi malhonnête?'' Dans ce procès, Cicéron semble s'attacher à la seule justice et dédouane le consul de toutes responsabilités dans cette affaire: ''Dès mon début, j'ai disculpé Sylla. D'ailleurs sa haute vertu l'a mis dans tous les temps à l'abri des soupçons''. Mais alors, à quel jeu joue Chrysogonus? Car Cicéron dit encore: ''Lucius Cornelius Chrysogonus, dit les avoir achetés deux mille sesterces, d'un citoyen célèbre par sa valeur et ses exploits, et dont je ne prononce le nom qu'avec respect, de Lucius Sylla''.

Beaucoup ont dit que Cicéron ne risquait rien lors de ce procès. Les partisans de Sylla parce que ce serait le dictateur lui-même qui aurait ''chargé'' son affranchi pour se débarrasser de lui et de cette encombrante affaire, et les adversaires de Sylla parce que Cicéron et Roscius étaient soutenu par la puissante famille des Metellii. Or, comme Sylla et les Metellii s'entendent bien, et que Cicéron affirme que l'ancien dictateur est étranger à cette affaire, la première version reste la plus probable. D'autre part, Cicéron avait servi sous les ordres de Sylla pendant la Guerre Sociale et enfin, si cette affaire nuisait tant à Sylla, il aurait pu tout simplement éviter la tenue de ce procès.

Néanmoins, il subsiste plusieurs zones d'ombres sur ce procès, et l'on se demande toujours avec Cicéron: ''Cui bono?'' ''A qui profite le crime?'' En effet, si Sextus Roscius fils a bien été innocenté du crime de parricide, il n'est jamais rentré en possession des biens de son père. Etait-il donc si innocent qu'il le prétend ? D'un autre côté, aucune source ne précise que Chrysogonus ait fini par être jeté du haut de la Roche Tarpéienne. Et Erucius et Cicéron ont poursuivi tranquillement leur carrière. Toujours est-il qu'avec ce procès, le système des proscriptions de Sylla est décrié non plus seulement comme un système récompensant les alliés du vainqueur, mais comme un système corrompu. Le pouvoir de l'Heureux Général commençait à être contestée aussi par la noblesse, comme semble le dire Cicéron lors du procès: ''Les meilleurs citoyens combattaient sous les aigles de Sylla pour rétablir l'ordre et la liberté, non pour perpétuer l'anarchie et la servitude; et il n'est pas possible que la noblesse, sur laquelle nous fondions de si grands espoirs, n'ait reconquis la République par les armes et par le feu que pour donner aux affranchis, aux vils esclaves des nobles, licence de ravager nos existences et nos fortunes''.

POMPEE ACHEVE LES MARIANISTES

L'année précédente, le Sénat ayant appris que Pompée avait rapidement pacifié la Sicile, il lui confia la mission de poursuivre Ahenobarbus en Afrique, car là-bas, la résistance à Sylla s'organisait. Gnaeus Domitius Ahenobarbus, l'autre beau-fils de Cinna, avait 30 000 soldats avec lui et s'était établit dans un camp près de Carthage. En outre, Ahenobarbus avait réussit à soulever les peuples d'Afrique du Nord contre Sylla. Les Numides avaient détrônés leurs rois Hiempsal et Massinissa, Amis et Alliés du Peuple Romain, et mit sur le trône Hiarbas. Pompée débarqua en Afrique avec à sa disposition prêt de 800 navires et six légions. Puis, il s'installa son camp à Carthage. A peine débarqué, 7 000 soldats quittèrent Ahenobarbus pour rejoindre Pompée. Pompée passa rapidement à l'offensive contre Ahenobarbus. Un jour, à la faveur d'un orage, et alors qu'Ahenobarbus donnait à ses troupes l'ordre de se retirer, Pompée fit charger ses légionnaires qui tuèrent 18 000 soldats ennemis. Pompée fut proclamé imperator par ses troupes. Il mit la main sur Domitius Ahenobarbus, lui lut l'édit de proscription, procéda à son exécution et envoya sa tête à Sylla.

Mais Pompée ne s'arrêta pas là. Il prit sur lui pour ramener l'ordre en Afrique. Après avoir défait Ahenobarbus, il va assiéger la ville de Bulla où Hiertas s'est réfugié. Pompée prend la ville d'assaut et exécute Hiertas, puis remet Hiempsal et Massinissa sur leurs trônes. L'Afrique est donc entièrement pacifiée à la fin de l'année 673 (-81).

POMPEE SE REVOLTE

Grâce à Pompée, jeune général efficace, Sylla avait réussi à vaincre beaucoup de ses derniers ennemis. Il était temps de démobiliser les légions. Ainsi, le consul envoya-t-il au début de l'année une lettre à Pompée, qui se trouvait alors à Utique, lui demandant de licencier son armée, sauf une légion, avec laquelle il attendrait son successeur comme gouverneur de la province d'Afrique. Pompée fut très mécontent de cette nouvelle, mais se hâta d'obéir à Sylla et de communiquer la nouvelle à ses troupes, qui ne furent pas, mais alors pas du tout d'accord avec cette décision. ''Ses hommes parlaient mal de Sylla et déclaraient que, résolus à ne jamais se séparer de Pompée, ils ne lui permettaient pas de se fier au tyran'', rapporte Plutarque. Devant la résolution de ses légionnaires, Pompée dut pleurer et même résoudre à se suicider s'ils ne faisaient pas ce que Sylla lui demandait. Pompée était donc certes un brillant général, mais il contrôlait encore très mal ses troupes, du moins était-ce ce qu'il voulait faire croire à Rome. Une fois ses soldats calmés, Pompée envoya une lettre à Sylla lui expliquant qu'il était dans l'impossibilité d'exécuter ses ordres. Ainsi, ''la première nouvelle qui vient à Sylla fut que Pompée était en rébellion ouverte'', explique Plutarque. Sur ce, la première réaction du consul a été de s'exclamer: ''Il est donc de ma destinée d'avoir dans ma vieillesse à combattre contre des enfants!''. Lucius Cornelius, qui n'appréciait guère la révolte du jeune général, commença par faire promulguer une loi contre le retour de Pompée et se préparait une nouvelle fois à mobiliser ses troupes, espérant sans doute que la menace de mobilisation contre lui finirait par décourager Pompée…

''MAGNUS'' POMPEE

En ce mois de février, Sylla se préparait donc à affronter Pompée, qui avait refusé de licencier ses troupes et rentrait avec ses six légions. Mais le consul hésitait. Lui fallait-il prendre au sérieux la marche de Pompée? Comment s'y prendre avec ce jeune général insolent? Et surtout, Sylla commençait à être fatigué de devoir toujours faire la guerre contre d'autres généraux romains, et surtout à des enfants n'ayant même pas l'âge d'être questeur! On en était réduit à s'armer du côté de Sylla lorsque Pompée, apprenant la décision du premier consul à son encontre d'interdire son retour, se hâta de lui écrire une nouvelle lettre pour lui expliquer qu'il n'avait aucune intention de mener une rébellion contre lui.

Dès lors, rassuré, Sylla permit à Pompée de rentrer avec ses troupes. Le peuple fit un accueil triomphal au jeune général qui avait mis fin à la guerre civile en Sicile et en Afrique. Sylla, suivant l'avis du peuple, décida d'aller féliciter en personne son légat. ''Il alla donc à la rencontre du jeune général, l'embrassa avec toute la chaleur possible, et le salua, à très haute voix, du surnom de Magnus; il ordonna même aux personnes présentes de lui donner cette appellation, qui équivaut à celle de Grand. D'autres historiens affirment que ce qualificatif avait été déjà décerné à Pompée par toute l'armée d'Afrique, mais n'eut de valeur et de portée qu'une fois confirmé par Sylla'', affirme Plutarque.

POMPEE TRIOMPHE

Magnus Pompée s'enhardit rapidement de la faveur que lui accordait Sylla. En effet, le consul ''se levait à l'entrée de Pompée et ramenait le pan de sa toge en arrière de sa tête; or on le voyait rarement se découvrir ainsi devant tout autre, quoiqu'il eût autour de lui beaucoup d'hommes de valeur'', remarque Plutarque. ''On le vit, étant dictateur, se découvrir, se lever de son siège, descendre de cheval, à la rencontre de Pompée, qui n'était que simple particulier; il déclara même en pleine assemblée qu'il le faisait de bon cœur, se rappelant que Pompée, à l'âge de dix-huit ans, avait puissamment soutenu son parti, à la tête de l'armée de son père'', précise Maxime-Valère.

Pompeius Magnus

Fort de la faveur de Sylla, Pompée réclama un triomphe, alors que la loi romaine n'autorisait cette récompense qu'aux seuls consuls et préteurs. Le consul lui répondit donc: ''Si Pompée, qui n'a pas encore de barbe au menton, fait une entrée triomphale dans la Ville, quand sa jeunesse ne lui permet pas d'appartenir au Sénat, cette irrégularité rendra odieux mon gouvernement et l'honneur décerné à Pompée!'' Pompée lui répliqua: ''Lucius Cornelius Sulla, je te prie de remarquer que le soleil levant a plus d'admirateurs que le soleil couchant!'' osant ainsi affirmer en public que Sylla était sur le déclin alors que lui était en pleine ascension. Cette remarque choqua l'entourage de Sylla. ''Sylla ne comprit pas très bien sur le moment; mais constatant l'émotion des auditeurs à leur visage et à leur attitude, il se fit répéter le mot'', rapporte Plutarque. Sur ce, Sylla, surpris, s'écria: ''Qu'il triomphe! Qu'il triomphe!''

Sylla voulait savoir jusqu'où l'audace de Pompée pouvait aller par amour de la gloire et il semble bien qu'il ait toujours eut l'intention de lui décerner son triomphe. En effet, ''Sylla, désormais maître de l'Italie, avec le titre officiel de dictateur, récompensait ses officiers et ses généraux en les enrichissant, en les élevant à des magistratures et en donnant satisfaction à toutes leurs demandes avec une libéralité empressée'', précise encore Plutarque. Dans ces conditions, et eu égard aux grands services que Pompée lui avait rendu, un triomphe semblait une récompense appropriée. Les amis de Sylla prirent assez mal cet honneur fait à Gnaeus Pompeius Magnus, par jalousie surtout. Mais Pompée célébra bien son triomphe le 12 mars.

THEATRE ET BACCHUS

Après le décès de Metella, Sylla, ''pour se consoler de son deuil, passait les journées dans les débauches et dans les plaisirs'', rapporte Plutarque, qui ajoute: ''Il faisait venir du théâtre chez lui les farceurs les plus impudents, et passait les journées entières à boire, à faire avec eux assaut de raillerie, déshonorant ainsi son âge et sa dignité, et sacrifiant à des goûts si bas les objets les plus dignes de tous ses soins. Dès qu'il s'était mis à table, il ne fallait plus lui parler d'affaires sérieuses: partout ailleurs plein d'activité, sombre et sévère, une fois qu'il s'était livré à ces sociétés de débauche, il devenait si différent de lui-même, qu'il vivait dans la plus intime familiarité avec ces comédiens et ces farceurs, qui trouvaient en lui une complaisance extrême, et le gouvernaient à leur gré''. En effet, Lucius Cornelius Sylla était toujours un grand amateur de théâtre, comme le confirme encore Macrobe: ''C'est ce même Roscius qui fut singulièrement chéri de Sylla, et qui reçut l'anneau d'or de ce dictateur''. Quintus Roscius Gallus, 46 ans à l'époque, est doué d'une belle figure et d'une allure virile, mais affecté d'un léger strabisme, il étudie les gestes et expressions des orateurs qui plaident au Forum. Excellant dans la comédie, il donne des leçons d'élocution à Cicéron qui l'admire beaucoup.

Sylla aime le théâtre populaire

A cette époque, aux tragédies, les Romains, et Sylla en particulier, préféraient les comédies. Les atellanes, ces courtes farces improvisées, se développaient sous l'influence du dictateur. Sous l'influence de Sylla, ce n'est pas seulement le théâtre qui évolua, mais aussi les arts. En effet, c'est à partir de l'époque de sa dictature qu'apparaît le ''second style ornemental'', où les murs des villas sont peints en trompe-l'œil, reproduisant les scènes de théâtres pour agrandir les espaces et où la figuration des monstres de la mythologie se développe. Des exemples de ce style se retrouvent à Pompéi.

LES GRANDS TRAVAUX

Outre la guerre, les lois et les arts, Sylla ordonna aussi de grands travaux. Tout d'abord, il fit reconstruire le Temple de Jupiter Capitolin, détruit par le feu. Lucius Cornelius voyait grand et les travaux durèrent de douze ans. Le nouveau temple était reconstruit en marbre, avec des colonnes provenant du temple de Zeus Olympien d'Athènes. Quant à la statue du dieu, elle était faite d'or et d'ivoire.

Le temple de Jupiter

Sylla fit aussi reconstruire les temples de Jupiter Feretrius, dieu témoin de la bonne signature des contrats et du mariage, le temple de Fides, le dieu de la bonne foi, et le temple de Vénus Erycine, la libératrice de Rome contre les Carthaginois. Le dictateur fit aussi construire un nouveau temple en l'honneur de la déesse de la guerre Bellone et un temple en l'honneur d'Hercule.

Sylla, ayant fait passer les membres du sénat de 300 à 600, décida d'agrandir la Curie, le lieu où se tenaient les réunions du Sénat. Aimant le marbre, il fit construire le pavage du Sénat en marqueterie de marbre noir. Cette mode du pavement en marbre se répandit rapidement à Rome.

Le tabularium

Enfin, Sylla fit édifier le Tabularium, le bureau officiel des archives de Rome, pour conserver toutes les lois et archives de la République.

L'ASIE REDEVIENT ROMAINE

Alors que la seconde guerre contre Mithridate se terminait et que Lucius Murena était rentré à Rome, le gouvernement de la province d'Asie a été confié à Marcus Minucius Thermus. Or, si la province d'Asie est désormais retournée dans le giron romain, la cité de Mytilène, refuse de se rendre. L'armée romaine, c'est-à-dire les deux légions de Murena, plus des renforts amenés par Marcus Thermus, est désormais commandée par Lucullus. En ce qui concerne Mytilène, Lucullus ''voulait les traiter généreusement et tirer une vengeance modérée de la faute qu'ils avaient commise en se ralliant à Marius. Mais les voyant égarés par leur mauvais génie, il les attaqua par mer, les vainquit, et les contraignit à se renfermer dans leurs murs, qu'il assiégea. Puis il partit de jour, ostensiblement, pour Élée; mais il revint en cachette, et, embusqué près de la ville, se tint en repos. Aussi quand les Mityléniens s'avancèrent en désordre, avec audace, pour piller le camp, qu'ils croyaient désert, Lucullus tomba sur eux, en prit un très grand nombre vivants, tua cinq cents de ceux qui résistaient, s'empara de six mille esclaves et d'un butin impossible à chiffrer'', rapporte Plutarque. Toute l'Asie est enfin pacifiée et Lucullus peut enfin retourner à Rome et retrouver Sylla.

SYLLA SE REMARIE

Entre deux promulgations de lois et deux mesures contre les partisans de Marius, Lucius Sylla se distrayait en allant au théâtre, et aussi en assistant parfois à des combats de gladiateurs. Un jour, dans les gradins de l'arène, ''comme alors les places n'étaient pas encore marquées dans les spectacles, que les hommes et les femmes y étaient confondus ensemble, Sylla se trouva, par hasard, à côté d'une femme très belle et d'une grande naissance: elle était fille de Messala, sœur de l'orateur Hortensius, se nommait Valeria, et venait de faire divorce avec son mari. Cette femme, s'étant approchée de Sylla par-derrière, appuya sa main sur lui, arracha un poil de sa robe, et alla reprendre sa place. Sylla l'ayant fixée avec étonnement: ''Seigneur, lui dit-elle, ne soyez pas surpris: je veux avoir aussi quelque part à votre bonheur''. Cette parole fit plaisir à Sylla; il parut même qu'elle l'avait extrêmement flatté: car tout de suite il fit demander son nom, sa famille et son état. Dès ce moment, ce ne fut que des œillades réciproques, que des regards continuels, que des sourires d'intelligence, qui se terminèrent par un contrat de mariage. En cela, peut-être, Valeria ne mérite point de reproches; mais Sylla n'est pas excusable. Eût-elle été la plus honnête et la plus vertueuse des femmes, son mariage n'aurait pas eu pour cela une cause plus honnête: il s'était laissé prendre, comme un jeune homme sans expérience, à ces regards, à ces cajoleries, qui ordinairement allument les passions les plus honteuses'', juge Plutarque. Bref, la nouvelle passion de Sylla défraya la chronique mondaine à Rome.

Un couple romain

Les Valerius Messala Niger, bien que famille sénatoriale, ne s'étaient distingués en rien ces dernières années et ils passaient pour des modérés au Sénat. L'opinion romaine vit cette nouvelle union de Sylla d'un mauvais œil. Sylla, veuf et consul, le meilleur parti de la cité malgré ses 57 ans, aiguisait bien des convoitises et des alliances. Valeria Messala fut perçue comme une manipulatrice profitant de la situation et Sylla pour quelqu'un qui, s'il semblait être tombé facilement dans les filets tendus par Messala, n'en était pas dupe pour autant. Il profita de sa nouvelle union en affichant clairement son nouveau bonheur dans les rues de Rome. Et sans doute témoigna-t-il même un peu trop d'affection pour sa femme en public dans une société romaine où il était mal vu d'afficher ses sentiments en plein milieu du Forum.

SYLLA RENONCE A L'IMPERIUM

En juillet, lors des élections consulaires, le ''peuple continua d'aduler Sylla, et le nomma consul encore une fois. Mais il ne voulut point accepter; il désigna pour le consulat Servilius Isauricus et Claudius Pulcher'', rapporte Appien. Lucius Cornelius appliqua donc pour lui-même la loi qu'il avait fait voter: plus de cumul de consulats. Mais Sylla nommait au consulat (ou plus exactement indiquait au peuple pour qui voter), des hommes qui lui étaient redevables. Servilius Vatia avait été vaincu par Cinna au début de la Guerre civile, et avait fini par rejoindre Sylla en Grèce après avoir du se cacher pendant quelques mois. D'autre part, il était l'un des plus fidèles partisans car il avait déjà essayé de le faire élire consul avant de partir pour la Grèce. Quant à Claudius Pulcher, il avait été destitué de son commandement pro-prétorien par Cinna et chassé du Sénat. Il devait son retour à la Curie uniquement à la victoire de Sylla. Les élections favorisaient toujours les candidats de l'ex dictateur. Ainsi, Marcus et Lucius Licinius Lucullus, les deux frères, et les plus fervents partisans de Sylla, furent-ils élus tous les deux édiles. Ils présentèrent des jeux durant lesquels ils firent s'affronter dans l'arène des taureaux à des éléphants. De son côté, Metellus Pius avait aussi son mot à dire dans ces élections syllaniennes. Il fit ainsi élire comme préteur Quintus Calidius, qui avait aidé son père pendant que celui-ci était en exil.

Cependant, de ces élections, il faut surtout retenir l'attitude du peuple. Son affection pour Sylla semblait réellement sincère et beaucoup réclamaient que l'ancien dictateur reste au pouvoir à Rome. Peu donc importait au peuple que les magistratures républicaines soient bousculées, du moment que celui qui était au pouvoir répondait à leurs attentes. En cela, Alfred Mortier a raison lorsqu'il écrit qu' ''en voulant sauver la République, Sylla lui a porté le dernier coup''. Et Jules César l'a tellement bien compris, que par la suite, il fit tout pour se concilier les faveurs du peuple…

A l'été, Lucius Cornelius continua à surveiller les dernières opérations militaires en Italie. Et après un siège de prêt de deux ans, Volaterrae finit par être prise. Le siège dut être laborieux car le propréteur Gaius Papirius Carbo, auquel Sylla avait laissé le commandement, finit lapidé par les soldats! Dans le même temps, la ville de Poplonium finit elle aussi par se rendre. Seule Nola résistait encore.

SERTORIUS DEFIE L'EMPIRE DE SYLLA

Depuis que Carbo et Marius le Jeune ont refusé d'accorder le consulat à Sertorius, celui-ci, anticipant la défaite des populares, est parti se réfugier en Espagne avec une petite armée. Mais connaissant bien Sylla, il savait que ce dernier enverrait rapidement une armée pour mettre fin à sa rébellion. Aussi, une fois les Pyrénées franchies, il laissa derrière lui une légion commandée par Julius Salinator pour tenir les cols. Sylla envoya Gaius Annius poursuivre Sertorius. Ne pouvant franchir les cols, Annius prit position au pied de la montagne. Mais la discorde règne entre les généraux qui commandent les troupes laissées en arrière-garde par Sertorius, et Calpurnius Lanarius finit par tuer Julius Salinator. La légion laissée par Sertorius se désintégre alors et Gaius Annius peut passer en Espagne. En voyant la progression rapide de l'armée de Sylla, Sertorius décida de se replier en Afrique, mais il en fut chassé par les milices locales et il du aller s'abriter aux îles Baléares. Gaius Annius n'était pas décidé à laisser Sertorius s'installer. Aussi, il mit à l'eau une flotte importante et décida de chasser Sertorius de son île avec une légion. Sertorius accepta cette bataille navale, mais ses navires étaient plus petits et moins solides, aussi fut-il contraint à la fuite. Quintus Sertorius passa le détroit des colonnes d'Hercule (Gibraltar) et s'installa aux îles Canaries. Refusant l'inactivité, ses hommes le quittèrent pour passer en Afrique et faire la guerre au roi de Mauritanie, Ascalis et Sertorius ne put que les suivre. Sylla avait envoyé en Afrique un autre général pour le combattre, Paccianus. Cette fois, la guerre tourna à l'avantage de Sertorius, qui finit par tuer Paccianus et prendre la ville de Tanger, où s'était réfugié le roi Ascalis.

Un denier de Gaius Annius

Sertorius tenait donc cette partie de l'Afrique du Nord hors du contrôle de Sylla. A cette époque, une délégation de Lusitaniens vint à sa rencontre pour lui demander de venir prendre le commandement de leurs troupes. ''Ils avaient besoin, pour se défendre contre les Romains qui les menaçaient, d'un général qui joignit à une grande réputation, beaucoup d'expérience'', explique Plutarque. Sertorius accepta, et repassa en Espagne où il mit sur pied une nouvelle armée. A l'égal de Rome, il créa un sénat composé de 300 membres, et ouvrit une école afin d'apprendre aux jeunes Ibériques le grec et le latin.

SERTORIUS S'ALLIE AVEC MITHRIDATE

Sertorius créait donc sa nouvelle Rome en Espagne loin de Sylla. Sa résistance face au dictateur finit par intéresser au plus haut point Mithridate, toujours prêt à faire la guerre à Rome. Ainsi, ''Mithridate, excité par les flatteries de ses courtisans, qui comparaient Sertorius à Hannibal, et lui-même à Pyrrhus; qui lui assuraient que les Romains, attaqués de deux côtés à la fois, ne pourraient jamais tenir contre deux si grands généraux et contre des puissances devenues si redoutables, quand le plus habile capitaine serait réuni au plus grand des rois. Mithridate résolut de lui envoyer des ambassadeurs. Il les fit partir pour l'Espagne avec des lettres, et les chargea d'offrir de vive voix à Sertorius des vaisseaux et de l'argent pour soutenir la guerre, à condition que Sertorius lui assurerait la possession de toute l'Asie, qu'il avait été forcé de céder aux Romains, par le traité que Sylla avait fait avec lui. Sertorius, ayant reçu ces ambassadeurs, assembla son conseil, qu'il appelait le sénat; ils furent tous d'avis d'accepter avec joie les propositions de Mithridate, puisqu'il ne demandait qu'un vain nom, qu'un titre inutile de ce qui ne leur appartenait pas, et qu'il leur donnait en échange les choses dont ils avaient le plus grand besoin. Mais Sertorius rejeta ce conseil; il dit qu'il laisserait volontiers à Mithridate la Bithynie et la Cappadoce, pays toujours gouvernés par des rois, et où les Romains n'avaient rien à prétendre; mais qu'une province qu'il avait enlevée aux Romains qui la possédaient à plus juste titre, qu'il avait perdue ensuite dans la guerre, vaincu par Fimbria, et qu'il venait de céder à Sylla par un traité, il ne souffrirait jamais qu'elle rentrât sous sa domination: ''Car, ajouta-t-il, je veux que Rome s'agrandisse par mes victoires, et je ne veux pas devoir mes victoires à l'affaiblissement de Rome. Un homme de cœur ne désire qu'une victoire honorable, et il ne a voudrait pas sauver sa vie même par des moyens honteux''. Cette réponse, rapportée à Mithridate, le frappa d'étonnement: ''Quels ordres nous donnera donc Sertorius, dit-il à ses amis, lorsqu'il sera dans Rome, assis au milieu du sénat, si maintenant, relégué sur les côtes de l'océan Atlantique, il fixe les bornes de mon royaume, et me menace de la guerre, à la première entreprise que je ferai sur l'Asie!'' C'est pourtant sur ce pied que le traité fut conclu et juré. Mithridate conservait la Bithynie et la Cappadoce, et Sertorius s'obligeait de lui envoyer un général et des troupes; de son côté, Mithridate s'engageait à lui fournir quarante vaisseaux et trois mille talents'', rapporte Plutarque.

A Rome, on ignorait encore tout des projets d'alliances secrètes entre Sertorius et Mithridate. Mais Sylla n'entendait pas laisser Sertorius s'installer tranquillement en Espagne. En vertu de sa nouvelle loi sur le gouvernement des provinces, qui consistait à donner les deux provinces les plus difficiles à gouverner aux anciens consuls, le sort donna l'Espagne à Metellus Pius. Quintus Caecilius Metellus avait 49 ans, et la réputation de meilleur général romain après Sylla et… Sertorius. La Gaule Cisalpine échut à Sylla.

LE FASTE DES JEUX DE LA VICTOIRE

Fin Octobre eut lieu la deuxième édition des Jeux de la Victoire, et ce fut un événement encore plus considérable que la première édition. "Sylla avait transporté à Rome les combats des athlètes et tous les autres spectacles de ce genre, pour célébrer la gloire de ses succès contre Mithridate et en Italie. Le prétexte fut le besoin d'amuser le peuple et de le délasser de ses travaux", explique Appien. En effet, cette année là se tenaient aussi les Jeux Olympiques à Athènes, mais les dates de la compétition grecque étaient alors trop proches des dates des célébrations des Jeux de la Victoire, si bien que les athlètes préférèrent aller se mesurer à Rome plutôt qu'à Athènes. Ainsi, les Jeux Olympiques, la 175ème olympiade, furent-ils amputés de la plupart de leurs épreuves, et notamment la plus importante, le Stadion. Avec ces Jeux de la Victoire, plus populaire que les Jeux Olympiques, Rome, sous l'influence de Sylla, s'affirmait comme la première puissance du monde méditerranéen. En à peine 24 mois, Lucius Cornelius Sylla avait réussi à remettre en état l'Empire romain et à affirmer sa suprématie.

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