''Il est impossible de retrouver une effigie réaliste de Sylla'', a écrit François Hinard. En effet, malgré des siècles de recherche, personne ne semble encore réellement savoir à quoi ressemblait Lucius Cornelius Sulla. Est-il désormais possible de résoudre cette énigme et de répondre à l'antique question: Qualis Sulla fuerit?

LE MONUMENT DEDIE A SYLLA

A Seleuk, anciennement Ephèse en Turquie, se trouvent les ruines du Monument de Memmius. Il s'agit d'un monument édifié par Gaius Memmius, un des petits-fils de Sylla, pour commémorer la reconquête de l'Asie par Sylla lors de la première guerre contre Mithridate. Sur ce monument figurent son père, Gaius Memmius, et son grand-père, Lucius Sulla. Si ce monument nous donne une bonne idée sur l'allure générale de Sylla, représenté en consul romain, il manque malheureusement son visage…

LE PROFIL DE SYLLA

Les seuls portraits de Sylla parvenus jusqu'à nous sont ceux figurant sur la pièce de monnaie éditée par un autre de ses petits fils, Quintus Pompeius Rufus, et nous montrant le profil de Sylla à l'époque de son consulat. Toutefois, la frappe de ces pièces est très inégale:

S'il est difficile d'avoir clairement le profil de Sylla, nous pouvons établir un portrait type: des cheveux courts et légèrement bouclés, un front barré d'une ride, un regard clair et ouvert, des yeux enfoncés, quelques rides au coin de l'œil, un nez busqué, une bouche légèrement ouverte, des rides au coin des lèvres, une ride sur la joue qui accuse ses traits, un menton légèrement proéminent, et une pomme d'Adam proéminente. En bref, le visage que Lucius Cornelius Sulla avait à 50 ans.

SYLLA PAR LES SOURCES

Pour en savoir un peu plus sur la description physique de Sylla, il faut se reporter à Plutarque: ''Les statues qui nous restent de lui nous donnent une idée de son aspect physique: le bleu étincelant de ses yeux rendait sa figure rude et sévère encore plus terrible, car son visage était d'une couleur rouge sur laquelle tranchait plusieurs tâches blanches". Sylla avait donc des yeux bleu azurs, et une peau blanche virant au rouge. A ce sujet, Sénèque ajoute: "Sulla, lorsque le sang marbrait ses joues, était d'une humeur des plus violentes". Quant à la couleur de ses cheveux, nous savons qu'ils étaient blonds. En effet, Plutarque ajoute, d'après le récit des propres Mémoires de Sylla, que le consul ''avait ce trait de beauté remarquable et que ses cheveux étaient blonds comme l'or''. Enfin, sur sa chevelure, Flavius Sosipater Charisius, grammairien du IVème siècle, a écrit: "sont appelés "sylla" ces efféminés qui, comme Sylla, qui avait les cheveux blonds et la coupe élégante, jouent à imiter son style de coiffure".

Pour être complet sur l'allure générale de Sylla, évoquons aussi un denier édité par Aulus Manlius où, au revers, apparaît la statue équestre de Sylla édifiée sur le forum, devant les rostres avec la dédicace suivante: Cornelius Sulla Imperator Felix. Lucius Sylla apparaît sur son cheval, avec une couronne de laurier:

Enfin, une dernière anecdote rapportée par Arrius Ménandre: "Celui qui, de naissance ou par accident, n'a qu'une testicule pourra servir, d'après le rescrit de l'Empereur Trajan: car on rapporte que les généraux Sylla et Cotta furent dans ce cas". Sylla aurait donc eu comme particularité physique de n'avoir qu'une seule testicule. Cependant, pour certains, ils s'agiraient d'une plaisanterie lancée par ses soldats le jour de son triomphe... Voilà à peu près tout ce que l'on sait sur le vrai Lucius Cornelius Sulla.

UN DESSIN PLUS REALISTE (?)

Plusieurs dessins de son profil ont été réalisés depuis la Renaissance d'après le denier de Quintus Pompeius. L'un d'eux, réalisé en 1780, offre un profil assez réaliste:

Tentons maintenant de retrouver son visage parmi les bustes et les intailles antiques parvenus jusqu'à nous. Et commençons d'abord par les bustes qui ont été attribués à Sylla, mais qui en fait représentent d'autres hommes politiques romains.

LE "SYLLA" DE BRIZZI

Le livre Silla de Giovanni Brizzi, propose sur sa couverture un buste qui ressemble bien plus à une statue bien connue de Marius qu'à Lucius Sylla:

S'il y a deux bustes qu'il ne faudrait pas confondre, c'est bien celui de Marius avec celui de Sylla. Les deux hommes se vouaient en effet une haine terrible qui est allée jusqu'à provoquer une guerre civile à Rome. Au regard de l'Histoire, si nous ne pouvons dissocier leurs carrières étroitement liées, leurs physiques sont bien différents. Une statue en bronze de Gaius Marius se trouve ainsi sur la place de sa ville natale, Arpino:

Au Musée du Vatican, se trouvent ces deux bustes: celui de Marius et celui de la couverture du livre de Brizzi. Or, on peut remarquer que ces deux bustes sont semblables... et surtout, ne ressemblent en rien au profil du denier de Quintus Pompeius...

LE "SYLLA" DE BACKER

De son côté, le livre de George Philip Backer Sulla the fortunate nous propose en couverture de sa dernière édition ce buste de Sulla Felix:

Voici une photo profil de ce buste:

Ce portrait provient du musée archéologique de Venise. Et bien qu'il ne présente aucune ressemblance avec la pièce de monnaie de Quintus Rufus, L. Curtius, dans son livre Ikonographische breitäge zum porträt der römischen republik und der Julisch-Claudischen familie, paru en 1932, pense le contraire.

LES "SYLLA" DE COPENHAGUE

Le livre de Maria Gabriela Angeli Bertinelli, Le vite di Lisandro e Silla, propose en couverture le profil du buste n°1402 de la Glyptothèque de Copenhague. Là aussi, le profil ne ressemble pas à la pièce de monnaie...

L'une des dernières études sur les bustes de Sylla a été réalisée en 2003 par Volker Michael Strocka qui a publié l'article Bildnisse des Lucius Cornelius Sulla Felix. Strocka pense reconnaître Sylla dans le buste n°598 de la Glyptothèque de Copenhague:

Or, encore une fois, le profil de ce buste ne ressemble pas au denier de Sylla.

LE "SYLLA" DU VATICAN

Pendant longtemps, et surtout dans les anciennes encyclopédies, beaucoup pensaient reconnaître les traits de Lucius Cornelius Sulla dans un buste provenant du Musée Chiaramonti du Vatican:

La mâchoire ressemble bien au denier, mais le regard, lui, ne correspond pas...

LE "SYLLA" DE HINARD

Voici la statue dite de Sylla qui était auparavant exposée au musée du Louvre et qui figure en couverture de la biographie de François Hinard, Sylla:

Selon François Hinard, cette statue provient de la collection Campana. Il ne s'agirait pas cependant pas d'un original antique, mais d'une création ou d'une copie du XIXème siècle. Cette statue est une copie d'un buste se trouvant à la glyptothèque de Copenhague:

Or, il ne peut s'agir de Sylla car ce buste provient du tombeau de la famille des Scipions se trouvant à Rome, sur la Via Appia. Il s'agit donc d'un buste de Publius Cornelius Scipio Africanus jeune.

Après plusieurs tentatives pour retrouver un buste de Lucius Cornelius Sulla, sans pouvoir y parvenir, certains ont osé estimer que le profil de Sylla représenté sur le denier de Quintus Pompeius ne correspondait pas à un portrait réel!!! Ce doute est résumé par François Hinard: il est permis de ''douter du réalisme des portraits et incite à penser que les graveurs ont cherché à représenter un type idéal du consul incarnant les valeurs traditionnelles de l'aristocratie''. Nous ne sommes pas d'accord avec cet avis. En effet, la plupart des monnaies antiques représentent plus ou moins fidèlement les bustes des divers hommes politiques romains. En vertu de quel principe Lucius Sulla échapperait-il à cette règle? D'autre part, Sylla étant un des hommes les plus importants de l'histoire de la République, son visage a forcément du parvenir jusqu'à nous, que se soit sous la forme d'un buste ou d'une intaille. Aussi, procédons selon une autre méthode pour identifier le profil de Sylla.

LE "VRAI" SYLLA DE MUNICH

Actuellement, le buste n° 309 de la Glyptothèque de Munich est considéré comme celui le plus ressemblant au denier de Quintus Pompeius. Selon Adolf Furtwängler, dans son livre Beschreibung der Glyptothek König Ludwig I, paru en 1900, ce serait en 1808 que le buste n°309 a été identifié comme étant celui de Sylla.

Réalisons une superposition photo entre le profil de ce buste et le profil du denier de Quintus Pompeius (logiciel photofiltre):

La superposition avec le denier fait ressortir les traits du visage de la statue. La coupe de cheveux est semblable et les deux profils se superposent assez bien. Incontestablement, le buste de la Glyptotèque de Munich est celui qui ressemble le plus au denier de Quintus Pompeius.

LE "VRAI" PROFIL DE SYLLA

Nous avons trouvé dans le livre de Marie-Louise Vollenweider, Camées et intailles: Les portraits romains du cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale de France, publié en 2003, une intaille ressemblant beaucoup au profil du denier de Quintus Pompeius:

Selon Marie-Louise Vollenweider, ce camée de Cornaline translucide, d'une hauteur de 10 mm et d'une largeur de 8 mm représenterait "un homme de la République Romaine, avec une arcade sourcillière aux bourrelets vigoureux et des rides profondes". Elle le date des environs de 50 à 40 avant Jésus-Christ, et pense qu'il aurait été exécuté par des partisans de Pompée. A-t-il été fabriqué au début de la Seconde guerre civile entre César et Pompée? Bien possible... Quoi qu'il en soit, ce profil de Sylla commence à se répandre dans les années -50, lorsque son petit-fils fait aposer son portrait sur des deniers commémoratifs.

Superposons le moulage de cette intaille avec le denier:

La forme du cou est similaire, les yeux sont semblables, la coupe de cheveux est quasiment la même. Enfin, lorsque l'on superpose les deux, le cou, les oreilles et la forme du visage correspondent.

Ainsi, l'intaille et la pièce de monnaie ont été fabriquées dans les années -50, sans doute d'après un buste original. La statue de Munich, elle, date d'époque augustéenne et est sans doute une copie du buste ayant de servi de modèle à l'intaille et au denier.

Récapitulons: le buste de Munich date de la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ, et l'intaille des années -50. Pour le modèle de l'intaille, il s'agit donc déjà d'un portrait retravaillé de Sylla, sans doute après sa mort. Pouvons-nous maintenant retrouver une intaille ou un buste qui daterait des années 90-80? En effet, la coupe de cheveux représentée sur l'intaille n'est pas celle décrite par Charisius, c'est au contraire un modèle assez courant sur les statues de la fin de la République...

LE "VRAI" VISAGE DE SYLLA

Une autre intaille a attiré notre attention: la n°356 du Musée Archéologique de Florence:

Cette intaille représente un Romain hautain, de part le port de la tête altier et le regard large et pénétrant. Les traits sont émaciés et marqués. C'est le visage d'un Romain d'une cinquantaine d'années. Notons la coupe de cheveux très stylée; les cheveux sont coupés courts et légérement ondulés, soit précisément ce que nous appelons la coupe antique classique. Est-ce la coupe décrite par Charisius? D'autre part, nous reconnaissons le nez busqué, l'arcade sourcillière tombante et le regard ouvert. Pour nous, il s'agit du vrai profil de Lucius Cornelius Sulla lorsqu'il était consul en 88 et cette intaille a du être réalisée dans les années -80.

Faisons maintenant le point sur quelques autres bustes attribués à Sylla.

LE "SYLLA" DU CAPITOLE

Le buste n°1550 au musée du Capitole à Rome, ressemble au buste de Munich:

Ce buste se trouve dans la Salle des Empereurs. Sur la notice, on peut lire: "Portrait exécuté probablement par Alessandro Alegardi au XVIIème siècle. Collection Albani". D'autres estiment qu'il s'agit du "portrait d'un privé réalisé à l'époque d'Auguste", soit d'époque romaine. Enfin, certains pensent voir dans ce buste une copie d'un portrait d'Alexandre le Grand.

Une belle figure souriante, aux traits marqués, à la forte arcade sourcillière, au nez busqué, aux paupières lourdes et aux yeux tombants.Nous choisissons de le classer comme "buste assimilé à Sylla" à cause de sa ressemblance avec le denier de Quintus Pompeius. Par ailleurs, la statue de Sylla d'Ephèse nous montre l'esquisse d'un visage avec des cheveux bouclés. Disons donc alors que ce buste représente les traits de Lucius Sulla dans un style grec.

D'autre part, une copie de ce buste se trouve dans le jardin du Parrish Art Museeum de New York, dans l'allée des empereurs:

LES FAUX BUSTES DU DICTATEUR SYLLA

Le plus célèbre buste attribué jusqu'à présent au dictateur Sylla est celui du musée du Bracchio Nuovo du Vatican. Il s'agit d'une copie d'après un original daté du milieu du second siècle. La copie et l'original:

Un autre buste de cette même personne est aussi exposé au musée du Louvre, tandis que, dans le même style, la Villa Albani à Rome expose ce buste comme étant celui de Sylla car semblable à celui du Bracchio Nuovo:

Aujourd'hui, ces bustes, qui ne représentent évidemment pas Sylla, ne sont pas encore identifiés. Ils représenteraient un homme politique important du second siècle, peut-être Caton l'Ancien selon une des dernières hypothèses.

Enfin, dans un tout autre style, mais pour évoquer à quel point l'image de Sylla s'est éloignée de la réalité, nous mettons dans cette rubrique le portrait esquissé par la romancière Colleen Mac Cullough dans son livre Le favori des dieux:

En effet, depuis sa mort, Sylla est caricaturé à outrance par ses ennemis. Son portrait physique devait donc forcément correspondre à l'image d'un tyran sanguinaire, vieillard débauché et sans âme, tel que certains auteurs antiques le présentaient. Et depuis la Renaissance, certains musées voulaient donner cette caricature en exemple de ce qu'un homme devient physiquement lorsqu'il est corrompu par le pouvoir. Une fable morale en somme, mais surtout historiquement fausse.

Que fut donc Sulla? En définitive, les vrais traits de Lucius Sulla sont représentés en plusieurs versions. Avec l'intaille de Florence, probablement contemporaine, nous pouvons percevoir l'air hautain et arrogant du patricien qui a marché deux fois sur Rome. La coupe de cheveux est élégante et conforme aux sources anciennes; le regard est fier et pénétrant. Pour la génération de Quintus Pompeius Rufus fils, les traits de Sulla ont changé. La pièce de monnaie et l'intaille de Paris présentent un homme souriant, traduisant à merveille son surnom de "Felix". Pour la génération d'Auguste, c'est-à-dire post-César, c'est l'image du tyran sanguinaire qui s'est imposée. Le regard de la statue de Munich est large et dominateur, avec les sourcils froncés. Le personnage sculpté représente un homme dur et froid. Finalement, ces représentations successives représentent bien tout le mythe qui s'est successivement construit autour de la personnalité de Sylla. Qualis Sulla fuerit? Un Romain, un Vrai, tel est finalement la réponse à cette énigme.