LA DEUXIEME GUERRE CONTRE MITHRIDATE

Sylla avait réussi à calmer les ambitions de Mithridate en Asie mais à peine eut-il le dos tourné que les hostilités reprirent. Au printemps 671 (-84), Sylla laissait en Asie Lucullus chargé de récolter les restes de la forte amende qu'il avait imposée à la province d'Asie, et l'un de ses meilleurs lieutenants, Lucius Licinius Murena, veiller à maintenir l'ordre en Asie avec les deux légions de Fimbria. Mithridate ne se tint pas longtemps tranquille dans son royaume du Pont. Dès qu'il apprit que Sylla était occupé à combattre en Italie, il envahit la Colchide et la Cimmérie. Les Colchidiens, lassés de la guerre, réclamèrent alors pour roi le fils de Mithridate, nommé lui aussi Mithridate. Mais Mithridate père, très soupçonneux, craignait que son fils ait des vues sur le royaume du Pont et il le fit mettre à mort. Et afin de remettre de l'ordre dans le Bosphore, il fit construire une nouvelle flotte et constitua une nouvelle armée. Murena et les Romains regardaient d'un mauvais œil les nouvelles manœuvres de Mithridate. Par ailleurs, celui-ci n'avait toujours pas entièrement rendu la Cappadoce à Ariobarzane et il finit par soupçonner son meilleur général, Archélaos, d'avoir fait acte d'allégeance aux Romains. En effet, Mithridate pensait qu'Archélaos avait cédé bien trop rapidement aux exigences de Sylla. Voyant les soupçons de Mithridate, et craignant sans doute pour sa tête, Archélaos alla rejoindre Murena.

Du côté romain, en ayant terminé avec l'amende asiatique, Lucullus reprit son rôle de proquesteur auprès de Murena. Mais aux dires des auteurs antiques, il n'était pas souvent auprès de Murena, et passait plus de temps à étudier la philosophie et les manuscrits grecs qu'à combattre Mithridate à cette époque. Murena par contre, à l'exemple de son général en chef, ne rêvait que d'être acclamé d'imperator. En effet, son plus grand rêve était de pouvoir célébrer un triomphe dans les rues de Rome. Aussi, quand Archélaos alla le rejoindre en lui parlant des dernières manœuvres de Mithridate, Murena vit toute suite une occasion pour déclencher de nouvelles hostilités. Lucius Murena, avec les deux légions de Fimbria, passa donc en Cappadoce, dans la partie encore détenue par Mithridate, et alla attaquer la riche ville de Comana. Murena rêvait également de s'enrichir et manifesta une évidente mauvaise fois, car ''comme les ambassadeurs du roi rappelaient le traité, il répondit qu'il n'avait vu aucun traité, car Sylla ne l'avait pas mis par écrit, mais était parti après voir tenu ses engagements par ses actes. Après sa réponse, Murena commença immédiatement ses pillages, sans épargner l'argent des temples, et il s'installa dans ses quartiers d'hiver en Cappadoce'', rapporte Appien. Mithridate ne tarda pas à réagir en voyant les agissements du lieutenant de Sylla et il envoya une ambassade à Rome auprès du dictateur pour se plaindre de la violation du traité. Pendant ce temps, Murena mit à sac la partie de la Cappadoce occupée par Mithridate, puis retourna en Galatie chargé d'un lourd butin.

Mithridate continue la guerre contre Rome

Quand Sylla apprit la conduite de son lieutenant, il n'était pas encore dictateur, aussi c'est le Sénat qui envoya un ambassadeur, un certain Calidius auprès de Murena. ''Calidius n'apportait pas de décret du Sénat, mais il déclara en public que le Sénat ordonnait de ne pas attaquer le roi, car il n'avait pas rompu le traité'', explique Appien. Murena ne tient aucun compte de l'avis du Sénat, et retourna en Cappadoce harceler Mithridate. ''Ce dernier, pensant que cette guerre ouverte avait été ordonnée par les Romains, ordonna à son général Gordios d'exercer des représailles sur ces villages. Gordios saisit immédiatement et emmena un grand nombre d'animaux, de biens, d'hommes, soit des civils, soit des soldats, et prit position face à Murena lui-même, de l'autre côté d'un fleuve. Ni l'un ni l'autre n'engagèrent le combat avant l'arrivée de Mithridate avec une plus grande armée. Aussitôt, un combat acharné s'engagea sur les rives du fleuve. Mithridate l'emporta, traversa le fleuve, et vainquit partout Murena. Ce dernier se retira sur une colline élevée où le roi l'attaqua. Après avoir perdu beaucoup d'hommes, Murena se sauva par les montagnes en Phrygie par des chemins non défrichés, harcelé sans arrêt par les traits de l'ennemi'', relate Appien. Après ce succès de Mithridate, toutes les garnisons romaines furent expulsées de Cappadoce. Mithridate tenait enfin un succès d'envergure contre les Romains, et il le célébra en allumant un immense bûcher.

Sylla, devenu dictateur, rappela Murena à l'ordre. ''Sylla pensa que ce n'était pas le moment de faire la guerre à Mithridate alors qu'il n'avait pas violé le traité. C'est pourquoi Aulus Gabinius fut envoyé pour rappeler à Murena que l'ancien ordre de ne pas faire la guerre à Mithridate devait être pris au sérieux et pour réconcilier Mithridate et Ariobarzane. Lors d'une conférence entre eux, Mithridate fiança sa petite fille de quatre ans à Ariobarzane, et profita de l'occasion pour stipuler qu'il devait non seulement garder cette partie de la Cappadoce qu'il occupait, mais aussi d'autres parties'', rapporte encore Appien. Ainsi prit fin la seconde guerre contre Mithridate, et Murena rentra à Rome.

Un denier de l'imperator Flaccus

Par la suite, Sylla autorisa Lucius Licinius Murena à célébrer le triomphe qu'il réclamait, pour les ''succès'' qu'il avait obtenu contre Mithridate. Visiblement, Sylla, en bon général romain, tenait à donner de grandes fêtes au peuple, et à prouver que l'armée romaine était victorieuse sur tous les terrains. De la même manière, il autorisa le proconsul Gaius Valerius Flaccus à célébrer aussi son triomphe. Gaius Flaccus, consul en 661 (-93), hérita du gouvernement de l'Ibérie. Pendant la Guerre sociale, il gouverna toute l'Ibérie, et réprima plusieurs révoltes celtibères. Il resta pendant cinq ans en Ibérie, puis, pendant la guerre civile, il s'occupa de gouverner les deux provinces gauloises, jusqu'à ce que Sylla devienne dictateur. Resté neutre pendant le conflit, il finit par rallier le parti de Sylla, ce qui l'autorisa à célébrer son triomphe sur les Celtibères et les Gaulois.

SYLLA VISE L'EGYPTE

Le proconsul Sylla, pendant sa guerre contre Mithridate, n'avait pas seulement dans sa suite Ariobarzane et Nicomède, mais aussi un des prétendants au trône d'Egypte, Alexandre: ''Ce prince avait été envoyé dans l'île de Cos pour son éducation; et, livré à Mithridate par les habitants de cette île, il s'était échappé des mains de ce prince, et il s'était sauvé auprès de Sylla, dont il avait obtenu la bienveillance'', nous explique Appien. En fait, Alexandre est le fils du pharaon Ptolémée X Alexandre. Celui-ci se fait assassiner l'année où Sylla exerce son premier consulat et son frère Ptolémée IX s'empare du trône. Alexandre se réfugie sur l'île de Cos, et finit par se faire livrer à Mithridate. De son côté, Mithridate le laisse s'enfuir, préférant le livrer aux Romains. Mithridate ne devait pas avoir de visées sur l'Egypte, mais les Romains si. L'Egypte est connue pour être une région très riche et très fertile. Souvent, en cas de mauvaises récoltes, Rome achetait du blé aux égyptiens. Déjà, Sylla, par l'intermédiaire de Lucullus, avait cherché une alliance avec l'Egypte. Ptolémée IX avait bien voulu offrir quelques navires à Sylla, mais refusa de devenir un Ami et Allié du Peuple Romain.

Ptolémée XII

Sylla qui a la mémoire longue, n'avait pas oublié ce refus de Ptolémée IX et il s'attacha à devenir le protecteur d'Alexandre. Ainsi, lorsqu'il reprit le pouvoir, Sylla installa Alexandre à Rome, en attendant une opportunité. Au mois de décembre, Ptolémée IX décéda et, puisqu'il n'avait pas de descendant mâle, c'est sa fille, Cléopâtre Bérénice III, qui hérita du trône. C'était l'occasion que Sylla attendait pour que Rome puisse mettre la main sur l'Egypte via un pharaon Ami et Allié du Peuple Romain. Par décret, il fit rendre le royaume d'Egypte à Alexandre. Alexandre rentra donc à Alexandrie et épousa Bérénice au printemps. Comme l'explique Appien, ''les femmes qui le gouvernaient avaient besoin qu'un prince de leur sang vînt s'unir à l'une d'elles''. Rome avait donc son alliance avec l'Egypte, et Sylla escomptait bien que les problèmes de trésorerie et de récoltes étaient terminés pour Rome. Mais Alexandre avait décidé de conserver le pouvoir pour lui tout seul, ou alors pour Rome, et à peine un mois après avoir été couronné pharaon, il fait assassiner Bérénice. La réaction de l'armée et du peuple égyptien est immédiate. Refusant de devenir une province romaine, les Egyptiens finissent par égorger Alexandre dans le gymnase d'Alexandrie. Ptolémée XII, l'un des fils naturels de Ptolémée X, s'empara alors du trône de pharaon. C'était sans compter sur la réaction romaine. En vertu d'un prétendu testament, les Romains affirment être les héritiers de Ptolémée XI. Prétendu testament… encore que Sylla aurait très bien pu faire signer un testament à Alexandre où celui-ci léguerait le royaume d'Egypte à Rome à sa mort, ce qui nous semble hautement probable. Cependant, Ptolémée XII paya des sommes folles aux Romains pour conserver son trône et, les Romains ayant finalement obtenus ce qu'ils voulaient, l'affaire en resta là.

SYLLA ABDIQUE LA DICTATURE

Sylla l'avait annoncé lorsqu'il avait réclamé la dictature: il exercerait le pouvoir ''jusqu'à ce que Rome, l'Italie et tout l'Empire romain auraient cessés d'être agités par les séditions et les guerres''. A l'automne, probablement avant les élections consulaires, il estima que le calme était revenu en Italie, à défaut d'avoir réussi à pacifier tout l'Empire Romain. Et Sylla décida donc d'abdiquer la dictature devant l'assemblée du peuple.

En l'espace d'environ une année, le système politique et judiciaire mis en place par Sylla est donc verrouillé. Plus qu'une restauration sénatoriale, il faut parler d'une mise sous tutelle de l'ordre équestre lorsque l'on évoque la dictature de Sylla. Les chevaliers, principaux soutiens de Marius et des tribuns de la plèbe ont été exclus de tous les postes importants de la République. Sylla, qui les tenait pour les principaux responsables des maux auxquels la République avait du faire face depuis les Gracques, a réduit à néant leurs espoirs d'ascension sociale. Selon ses nouvelles lois, les hommes nouveaux comme Gaius Marius n'auraient plus aucune chance de pouvoir renverser la République à leur avantage. De même, les ambitions politiques nées du contrôle d'une puissante armée sont désormais bridées en vertu d'une loi qui considère l'abus de pouvoir comme un crime de lèse-majesté envers la République. Et finalement, lorsque Florus porte un regard sur la dictature de Sylla, il juge lucidement: ''Sylla fut regardé comme un sauveur, qui ferma les plaies cruelles de la République. Ce vieux corps avait besoin d'un médecin et l'horrible méthode de guérison qu'il employa ne fut que plus efficace''.

Selon Aurelius Victor, ''après avoir rétabli l'ordre dans la République, il abdiqua la dictature''. On parle d'abdication pour Sylla car le verbe abdicare signifie en latin ''se démettre de ses fonctions''.

Selon Appien: ''C'est à ce point qu'il porta l'audace et le bonheur. On dit qu'il se rendit au Forum quand il déposa le pouvoir, et qu'il déclara qu'il était prêt à rendre compte de ce qu'il avait fait, si l'on avait à cet égard quelque chose à lui demander''. ''Il osa même annoncer hautement qu'il serait prêt à répondre à ceux qui se présenteraient pour lui demander compte de sa conduite''. Ainsi, Lucius Cornelius Sylla estima sa mission achevée et c'est sans doute ainsi qu'il parla devant le Sénat, puis devant la foule du Forum: ''J'ai rétabli l'ordre dans la République; il est temps pour moi de me démettre de la dictature''. Et plus encore, avec une audace et une confiance inouïe dans sa propre justice, il osa s'adresser ainsi au peuple romain: ''Je suis prêt à rendre compte de tout le sang que j'ai versé pour la République. Je répondrais à tous ceux qui viendront me demander leurs pères, leurs fils ou leurs frères''. Mais il n'y eut pas même un seul murmure dans la foule, rien. Sa dignitas intacte, son devoir envers Rome et la République accomplie sans contestation, Sylla déposa la dictature, licencia sa garde et… rentra chez lui.

Sylla renvoie ses licteurs

Un seul citoyen romain n'a rien compris à son abdication: Jules César. ''Il s'est conduit comme un écolier en abdiquant la dictature'', dira-t-il plus tard. Par la suite, les royalistes, comme Appien d'Alexandrie, se sont tout autant étonnés: ''J'avoue que, encore une fois, Sylla provoque mon étonnement en ayant été le premier et le seul jusque-là à abdiquer un si grand pouvoir, sans y être poussé par personne, et non pas en faveur de ses enfants (ainsi que l'on vit abdiquer Ptolémée en Égypte, Ariobarzane en Cappadoce, et Séleucus en Syrie), mais en faveur de ceux-là même contre lesquels il avait exercé sa tyrannie. C'était déjà une absurdité, n'étant parvenu à la dictature qu'à force de combats et de dangers, de s'en démettre volontairement; et rien n'était moins raisonnable que de n'avoir nul sujet de crainte, après une guerre où il avait fait périr plus de cent mille jeunes gens, après avoir tué, parmi ses ennemis, quatre-vingt-dix sénateurs, environ quinze consulaires, et deux mille six cents chevaliers, en y comprenant ceux qui avaient été condamnés à l'exil, surtout lorsqu'on réfléchit que les biens de ces proscrits avaient été confisqués, et les cadavres de plusieurs privés des honneurs funèbres''.

Sur le Forum, en ce mois de novembre, Lucius Cornelius Sylla Felix rendait la République aux Romains. Malgré sa tendance à la tyrannie et au despotisme, il ne concevait pas Rome autrement que gouverné par une République même si de temps en temps, il préconisait d'avoir recours à une courte période de dictature pour ramener l'ordre dans l'Empire. D'autre part, Sylla avait conquis les deux villes les plus importantes du monde méditerranéen, Rome et Athènes, exercé sa vengeance sur tous ses ennemis, remporté de nombreuses batailles, obtenu tous les titres de gloire possible et il avait remodelé l'Empire romain selon ses désirs politiques. Il pouvait ainsi s'estimer pleinement heureux, ou plutôt felix.

Un seul incident est à signaler: ''Il n'y eut qu'un jeune homme qui osa l'insulter un jour, comme il se retirait chez lui, et qui eut l'audace de le poursuivre, sans que personne le retînt, jusque dans sa maison, en le chargeant d'invectives. Mais Sylla, qui s'était abandonné à toute son irascibilité à l'égard des plus grands personnages et des plus imposantes cités, supporta les outrages de ce jeune homme sans s'émouvoir; et, en rentrant chez lui, pronostiquant l'avenir, soit sagacité, soit hasard, il se prit à dire que l'insolence de ce jeune homme serait cause que les dictateurs qui lui succéderaient n'abdiqueraient point'', rapporte Appien.

LES ELECTIONS CONSULAIRES

Toutefois, en ce mois de novembre, Sylla considéra que son oeuvre n'était pas totalement achevée. Il se résolut donc à briguer un nouveau consulat. En effet, les nouvelles lois ne devaient entrer en vigueur que l'année suivante et en 674 (-81), les élections consulaires se déroulèrent donc encore en novembre. Et pas question pour les optimates de laisser des hommes nouveaux arrivés au consulat. Metellus Pius voulait être consul. Préteur pendant la Guerre Sociale, le nouveau Pontifex Maximus ne souhaitait plus attendre. Selon la législation romaine, il faut un consul patricien et un consul plébéien. Metellus Pius est plébéien, Sylla patricien. Seulement, il s'agissait alors de faire cohabiter au consulat les deux hommes les plus puissants de Rome. Cela n'était pas facile à admettre pour Sylla. Cependant, l'ex dictateur contrôlait encore toute la République. Et selon la loi, il pouvait aussi se faire élire consul une seconde fois s'il le souhaitait. Grâce à ses largesses envers le peuple, à l'agrandissement du Sénat, à la distribution de ses 10 000 Cornelii dans les tribus électorales, Sylla avait en effet tout contrôle sur les électeurs. Il n'hésita donc pas à se présenter aux élections. Maître absolu de Rome, les électeurs votèrent en masse pour lui. Sylla en profitait aussi pour vérifier sa popularité et il fut élu premier consul. Metellus Pius venait en second.

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