An de Rome 660 (-94): Il ne restait plus à Sylla, l'influence grandie par ses victoires militaires et son traité, et alourdi de quelques sacs d'or remis par les Parthes et par Ariobarzane, qu'à rentrer à Rome pour se faire élire consul. Le propréteur est de retour à Rome à la fin du printemps. Sylla fit une entrée triomphale au Sénat en racontant en détail la réussite de sa mission et demandant aux sénateurs de ratifier son traité d'amitié avec les Parthes. La faction des optimates était triomphante et Marius voyait s'envoler ses espoirs de faire une guerre glorieuse. Il n'eut plus qu'une idée en tête: se venger de Sylla en l'empêchant de se faire élire consul… Marius était décidé à tout, pas seulement à retarder d'un an son élection, mais à l'éliminer définitivement de la route des honneurs en ruinant sa réputation…

Gaius Marius

Cependant Gaius Marius ne pouvait accuser Sylla lui-même. Il trouva donc quelqu'un qui détestait autant Sylla que lui, en l'occurrence l'orateur Gaius Marcius Censorinus. Censorinus accusa donc Sylla de péculat, c'est-à-dire le détournement à son profit des fonds publics de la province de Cilicie dont il avait la charge. Dénuée de tout fondement, cette accusation servit de prétexte à une violente campagne de dénigrement contre Sylla. Tout d'abord, la faction populares de Marius attaqua Sylla sur la façon dont il avait traité l'ambassadeur des Parthes, Orobaze, en ne le faisant pas asseoir au centre de la tribune des négociations. Sylla fut traité de méprisable arrogant et d'avoir trop d' ambition pour un simple propréteur. Les optimates répliquèrent en disant que Sylla avait eu raison de traiter ces barbares avec autant de fierté.

Les Romains au-dessus des Parthes

Ensuite, l'accusation fut mieux ciblée: Sylla fut accusé d'avoir ramené de Cappadoce beaucoup trop d'argent et surtout d'avoir détourné à des fins personnelles l'argent d'un pays ami et allié. C'était sur ce point-là qu'il fallait attaquer Sylla. En effet, de même qu'il avait acheté sa charge de préteur urbain grâce à Bocchus, de même pensait-on qu'il allait acheter la charge de consul grâce à l'argent d'Ariobarzane. Sylla fut donc présenté aux Romains comme un patricien arrogant, hautain, fier, impopulaire et juste bon à acheter des voix en détournant l'argent des royaumes amis et alliés. Tout Rome fut donc au courant que Sylla voulait acheter les votes des électeurs pour se faire élire consul. Sauf qu'à l'avenir, plus personne ne voterait plus pour lui s'il venait à agir ainsi… Le jour du procès, Censorinus ne présenta pas au tribunal; il n'avait pas assez de preuves et surtout l'objectif était parfaitement atteint: Sylla était politiquement décrédibilisé pour longtemps. Marius tenait sa revanche…

An de Rome 661 (-93): Pour Sylla, le coup était très rude. Pour ne pas perdre définitivement la face, il adopta un ton volontairement beaucoup plus modeste: ''Voyant que l'éclat de sa famille avait pali, il se conduisit longtemps de telle sorte qu'on crut qu'il n'avait aucune intention de briguer le consulat'', nous explique Velleius Paterculus. ''D'une profondeur de dissimulation incroyable'' ajoutera Salluste… Bref, en grand acteur, Sylla réussit parfaitement à cacher son ambition.

Sans doute Lucius Cornelius, fatigué par la guerre psychologique que lui avait livré Marius et les populares, quitta-t-il Rome pour quelques temps. Il possédait une propriété dans la baie de Naples et avait un nouveau projet en tête: avoir un fils. Sylla passa aussi du temps avec ses amis, notamment le jeune Lucullus, le préteur Marcus Porcius Cato, les deux César, Lucius et Gaius, et Pompeius Rufus.

Quintus Pompeius

An de Rome 662 (-92): Désireux de créer de nouvelles alliances, Sylla fiança sa fille Cornelia avec le jeune Quintus Pompeius Rufus. En effet, le père entamait une campagne pour se faire élire préteur urbain. En mariant leurs enfants, Sylla démontrait qu'il était toujours bien présent dans la vie politique romaine, et en appuyant la campagne de Pompeius, il cherchait à restaurer son crédit auprès des électeurs. D'autre part, les optimates connaissaient des temps plus difficiles: Publius Rutilius Rufus était envoyé en exil et Metellus Numidus avait beaucoup d'ennemis autour de lui (il finira empoisonné par Quintus Varius l'année suivante). Le ''noyau dur'' du Sénat autour de Marcus Scaurus plaçait désormais ses espoirs dans le jeune Marcus Livius Drusus. Drusus était soutenu par Lucius Licinius Crassus et Gaius Cotta, et Sylla n'était pas très loin... En effet, Drusus s'était fâché avec son beau-frère, Quintus Servilius Caepio, à cause de la défaite du père de ce dernier à Arausio. Drusus avait fini par divorcer de sa femme Servilia, la sœur de Caepio, mais en plus, il avait obligé Caepio à divorcer de sa sœur Livia. Immédiatement après, Drusus avait remarié sa sœur Livia à Marcus Porcius Cato, un des grands amis de Sylla…

Marcus Livius Drusus était l'homme le plus riche de Rome. Il avait 32 ans, était éloquent et cultivé, réactionnaire et démagogue, et possédait un goût inné pour la popularité et le pouvoir. Il subjuguait les foules par ses richesses et ses manières franches et séductrices. Aussi, il se fit élire sans difficulté tribun de la plèbe.

An de Rome 663 (-91): Drusus, appuyé par quelques lucides sénateurs qui jugeaient vital de procéder à des réformes politiques pour assurer la survie de la République, commença à proposer toute une nouvelle série de lois. La première était une loi frumentaire qui abaissait le prix du blé, ce qui le rendit très populaire auprès le la plèbe. La deuxième était une loi sur la dévaluation de la monnaie. La troisième réclamait à ce que les tribunaux, dévoués aux chevaliers depuis les Gracques, repassent dans les mains des sénateurs. Drusus prônait que désormais, les juristes soient recrutés uniquement parmi les sénateurs. Pour ne pas léser les chevaliers par cette mesure, Drusus voulait doubler le nombre des sénateurs: 300 chevaliers seraient recrutés et incorporés au Sénat. C'était une mesure politique très adroite. Ainsi, l'élite de l'ordre équestre serait absorbée par le Sénat. Leur ambition serait annihilée car les chevaliers seraient alors obligés de suivre la majorité du Sénat. C'était donc un moyen d'en finir avec les ambitions politiques démagogiques des Hommes Nouveaux. Dans tous les cas, cette proposition de loi frappa vivement Sylla qui l'appliquera quelques années plus tard. Drusus n'a certainement pas trouvé cette loi tout seul. Scaurus, Crassus, et peut-être même Sylla peuvent aussi en être à l'origine…

Drusus était donc l'homme du Sénat. Cela n'allait pas duré… Comme les Gracques, il voulut entreprendre des réformes agraires. Or, s'il y a bien une chose que le Sénat déteste par-dessus tout, c'est que l'on touche à l'ager publicus, les terres publiques de Rome. Et Drusus voulait créer de nouvelles colonies romaines en Italie sur l'ager publicus. Cependant, cette loi toute romaine ne plaisait pas aux Italiques qui se voyaient une nouvelle fois exclus de cette distribution de terres. Or, Drusus tenait particulièrement à cette loi. Aussi, il décida de devenir l'ami de toute l'Italie en offrant la citoyenneté romaine aux alliées Latins et Italiques. Il déposa son projet de loi au milieu de l'été, mais cette fois, il provoqua un tollé général dans toute la cité. Non! De la plèbe au Sénat, les Romains ne voulaient pas partager leur droit à la citoyenneté. Mais Drusus, devenu arrogant et injurieux envers le Sénat, croyait déjà être le maître de Rome. En outre, il était ardemment soutenu par la nation Marse. Son chef, Quintus Poppaedius Silo, passa un accord secret avec Drusus. Il s'engageait à ce que les amis et les ennemis de Drusus soit aussi les siens et à faire jurer le plus grand nombre possible d'Italiens. Drusus était ni plus ni moins en train de devenir le patron de toute l'Italie.

Drusus assassiné

Drusus était attaqué politiquement tous les jours au Sénat, soit par Caepio, soit par le consul Marcus Philippus. Le 13 septembre, Philippus réclama une condamnation de son projet de loi. Lucius Crassus s'opposa de toutes les forces qui lui restaient. Il réussit à empêcher la condamnation de la loi mais décéda quelques jours plus tard d'une pleurésie. On apprit que près de 10 000 Marses marchaient sur Rome, prêts à mettre la ville à feu et à sang s'ils n'obtenaient pas la citoyenneté. Un légat réussit à leur faire entendre raison. Puis des rumeurs circulèrent selon lesquelles Quintus Silo assassinerait bientôt le consul. Pour Philippus, c'en était trop. Il réussit à rendre Drusus maudit en invoquant des augures défavorables sur ses lois. Puis, il réussit à faire abroger toutes les lois de Drusus. Le tribun de la plèbe était désormais un homme politiquement mort. Cela n'empêcha pas Quintus Varius d'aller l'assassiner chez lui au début du mois d'octobre. Avant de succomber, Drusus eut le temps de prononcer une phrase d'un terrible orgueil: ''Quand donc l'Etat retrouvera-t-il un citoyen tel que moi?''

MARIUS VOIT ROUGE

Pendant que Drusus haranguait les foules, les hostilités avaient repris entre Marius et Sylla. Depuis la campagne de calomnie de Censorinus, Sylla cherchait à se venger de Marius. Une entreprise lui tenait particulièrement à cœur: faire inscrire Bocchus au nombre des alliés de Rome, ce qui n'était pas encore fait officiellement. Le Sénat finit cette année-là par ratifier cette amitié. Et Sylla put mettre en pratique la vengeance qu'il avait soigneusement préparée…

En effet, Sylla voulait contre-attaquer publiquement pour retrouver son honneur bafoué. Et il lui fallait frapper très fort - et viser juste! - pour se venger de Gaius Marius. Ainsi, il demanda à son ami Bocchus de financer un monument au Temple des Victoires, situé sur la colline du Capitole, des statues en or représentant - comme par hasard! - en grand une réplique de son sceau: Jugurtha remis par Bocchus entre les mains de Sylla. En voyant ces statues, Gaius Marius entra dans une colère noire. Comment Lucius Sylla osait-il s'attribuer une victoire qui lui revenait à lui, Marius?!! Lucius Sylla n'était rien! Marius était le Troisième fondateur de Rome, etc. etc. Marius voulu à tout prix faire enlever ces statues, les amis de Sylla s'y opposèrent. La version officielle des événements était que Bocchus avait voulu offrir ce monument en témoignage de son amitié au peuple romain et, Sylla, grand seigneur, se voyait surtout flatté, et n'avait plus qu'à accepter ce modeste témoignage de reconnaissance pour ne pas fâcher un ami et allié du peuple romain… Sylla refusa donc tout net d'enlever ces statues, Marius était prêt à employer la force.

Frises du monument de Bocchus

A l'automne, la tension entre Marius et Sylla était alors à son comble: ''Sylla résistait avec l'opiniâtreté d'un rival, et leur lutte était presque déclarée''. En outre, ''cette querelle allait allumer la sédition la plus violente qui eût jamais agité Rome, si la guerre sociale, qui couvait depuis longtemps, venant tout à coup à éclater, n'eût apaisé pour le moment cette division'' dixit Plutarque.

...suite