LA COMEDIE DE SYLLA ET D'ARCHELAOS

Pendant qu'il attendait la réponse de Mithridate, Sylla ''marcha contre les Enètes, les Dardaniens et les Sintes, tribus à la frontière de la Macédoine qui envahissaient continuellement ce pays et le dévastaient. De cette façon, il donna de l'exercice à ses soldats et les enrichit en même temps'', relate Appien. Puis, l'Imperator reçut enfin des nouvelles de Lucullus. Celui-ci l'attendait avec sa flotte dans la péninsule de Chersonèse. Sylla partit à sa rencontre avec Archélaos dans sa suite. Et Sylla le traite désormais plus comme un de ses légats que comme son ennemi. En effet, en cours de route, Archélaos tomba malade à Larisse, et le proconsul s'arrêta pour qu'il puisse se soigner. Dans l'entourage de Sylla, des rumeurs commencèrent à courir. Lui et Archélaos auraient trouvé un accord depuis la bataille de Chéronée. On s'interrogeait sur le fait que Sylla avait rendu tous les prisonniers ami de Mithridate, sauf Aristion, et lui ait conféré le titre d'ami et allié du peuple romain. Cette générosité de Sylla passa très mal auprès des Romains. Mais Sylla n'avait aucun scrupule à faire de son pire ennemi son meilleur ami si cela pouvait servir ses intérêts et ceux de Rome au passage.

Pendant que Sylla et Archélaos était à Larisse, les ambassadeurs de Mithridate vinrent lui apporter sa réponse: le roi du Pont était d'accord sur tout, sauf sur la Paphlagonie, qu'il entendait garder en sa possession, et qu'il ne pouvait consentir à lui donner les navires qu'il réclamait. Il ajoutait aussi qu'il pouvait obtenir de meilleures conditions s'il entrait en pourparler avec l'autre général romain Fimbria. A ces mots, Lucius Cornelius Sylla, de tempérament sanguin, entra dans une colère terrible. ''Que dites-vous? Comment votre roi peut-il seulement oser évoquer une négociation avec cette brute sanguinaire de Fimbria? Mithridate veut conserver la Paphlagonie, et refuse de livrer les vaisseaux? Alors qu'il devrait être ici à se trainer à mes pieds pour me remercier de l'épargner! Alors qu'il est souillé du sang de milliers de citoyens romains! Je vais lui apprendre ce qu'est la guerre contre une vraie armée romaine! Et je le poursuivrais aussi loin et longtemps qu'il le faudra pour le tuer de mes propres mains!'' Les ambassadeurs reculèrent, littéralement épouvantés de voir de quoi Sylla était capable. Et il fallut qu'Archélaos se jette au pied de Sylla et jure de tuer Mithridate lui-même s'il ne se rendait pas à ses conditions pour pouvoir le calmer. La comédie de Sylla et d'Archélaos fonctionna très bien. Les ambassadeurs pontiques crurent dur comme le fer à la terrible colère de Sylla et à la volonté d'Archélaos d'obtenir à tout prix la paix!

Archélaos alla cette fois porter lui-même et de vive voix le message de Sylla. En attendant, l'Imperator occupa ses soldats avec des expéditions en Médique, une province de la Thrace, puis il retourna en Macédoine. Alors qu'il était près de la ville de Philippes, Archélaos vient le rejoindre. Il lui annonça que Mithridate était d'accord pour lui céder sur tous les points, mais qu'il voulait le rencontrer en personne. Mithridate sentait que Fimbria augmentait sa pression sur lui, aussi préféra-t-il aller négocier avec Sylla, qui se montrait finalement le plus clément envers lui.

SYLLA RENCONTRE MITHRIDATE

Le général romain et le roi du Pont se retrouvèrent à Dardanos au mois d'août. Mithridate venait avec une grande suite pour impressionner Sylla: 200 navires, 20 000 soldats, 6 000 cavaliers et de nombreux chars à faux. Sylla venait avec quatre cohortes et 200 cavaliers. Tous se retrouvèrent dans une plaine et la rencontre eut lieu à la vue de tous.

Mithridate s'avança le premier vers Sylla et lui tendit la main. L'Imperator refusa de la serrer et lui demanda s'il consentait à mettre un terme à la guerre selon les conditions que lui avaient rapporté Archélaos. Le roi du Pont garda le silence. ''Mithridate, reprit Sylla, ignorez-vous que ceux qui ont des demandes à faire doivent parler les premiers, et que les vainqueurs n'ont qu'à les écouter en silence?'' Mithridate se lança alors dans un long discours, rappelant l'amitié et l'alliance de son père Mithridate V Evergète avec les Romains lors de la troisième Guerre Punique contre Carthage, rejetant les causes de cette guerre en partie sur les dieux et en partie sur les Romains. ''Ensuite, il accusa les ambassadeurs, les membres de la commission et les généraux romains de l'avoir lésé en mettant Ariobarzane sur le trône de la Cappadoce, en le privant de la Phrygie, et en permettant à Nicomède de lui nuire. ''Et tout ceci, dit-il, ils l'ont fait pour de l'argent, le recevant de moi et de ceux-là tour à tour. Ce qu'on reproche à la majorité d'entre vous, Romains, c'est la cupidité. Quand la guerre a éclaté du fait de vos généraux, je ne faisais que me défendre, et c'était davantage par nécessité que par volonté'', relate Appien. Sylla l'interrompt: ''J'avais, lui dit-il, entendu dire depuis longtemps que Mithridate était un prince très éloquent, et je le reconnais aujourd'hui moi-même, en voyant avec quelle facilité il déguise sous des paroles spécieuses les actions les plus cruelles et les plus injustes''.

Sylla ne cède rien à Mithridate

Puis Sylla enchaîna: ''Bien que tu m'aies appelé ici, dit-il, dans un autre but, à savoir, accepter nos conditions de paix, je ne refuserai pas de parler brièvement de ces sujets. J'ai remis Ariobarzane sur le trône de Cappadoce par décret du Sénat quand j'étais gouverneur de Cilicie, et tu as obéi au décret. Tu aurais pu t'opposer à lui et en donner tes raisons ou alors rester en paix pour toujours. Manius t'a donné la Phrygie par concussion, ce qui était un crime de notre part. Par le fait même que tu l'as obtenu par corruption, tu admets que tu n'y avais aucun droit. Manius a été convaincu à Rome d'avoir agi pour de l'argent, et le Sénat a tout annulé. Pour cette raison, il a décidé de faire de la Phrygie, qui t'avait été donnée à tort, non une tributaire de Rome, mais de lui donner la liberté. Si nous, qui l'avons prise par guerre, nous ne jugeons pas bon de la gouverner, de quel droit pourrais-tu l'obtenir? Nicomède t'accuse d'avoir envoyé contre lui un assassin du nom d'Alexandre, et puis Socrates Chrestus, pour lui disputer son royaume, et dit que c'était pour venger ces maux qu'il avait envahi ton territoire. Cependant, s'il te faisait du tort, tu aurais dû envoyer une ambassade à Rome et attendre une réponse. Mais bien que tu te sois vengé rapidement de Nicomède, pourquoi as-tu attaqué Ariobarzane, qui ne t'avait rien fait? Quand tu l'as bouté hors de son royaume, tu as obligé les Romains qui étaient là, à le remettre sur son trône. En les empêchant de le faire, tu as fait une déclaration de guerre. Cette guerre, tu la méditais depuis longtemps parce que tu espérais gouverner le monde entier si tu arrivais à battre les Romains, et les raisons que tu donnais étaient des prétextes pour cacher tes véritables intentions. La preuve de tout cela, c'est que toi, bien que tu ne fusses pas encore en guerre avec aucune nation, tu recherchais l'alliance des Thraces, des Sarmates et des Scythes, tu recherchais l'aide des rois voisins, tu construisais une marine et tu enrôlais des pilotes et des hommes de barre.

Le moment que tu as choisi démontre surtout ta trahison. Quand tu as entendu que l'Italie s'était révoltée contre nous, tu as saisi l'occasion alors que nous étions occupés, pour tomber sur Ariobarzane, Nicomède, la Galatie, la Paphlagonie, et finalement sur notre province asiatique. Quand tu t'en es emparé, tu as commis toutes sortes d'exactions sur les villes, nommant des esclaves et des débiteurs à la tête de certaines d'entre elles, libérant des esclaves et supprimant les dettes dans d'autres. Dans les villes grecques, tu as fait tuer mille six cents hommes sur de fausses accusations. Tu as invité les tétrarques de Galatie à un banquet et tu les as fait exécuter. Dans la même journée, tu as envoyé à la boucherie ou tu as fait noyer tous les résidents de sang italien, y compris les mères et les enfants, n'épargnant même pas ceux qui s'étaient réfugiés dans les temples. Quelle cruauté, quelle impiété, quelle haine illimitée n'as-tu pas manifestées envers nous! Après avoir confisqué les biens de toutes tes victimes, tu t'es dirigé vers l'Europe avec de grandes armées bien que nous eussions interdit l'invasion de l'Europe à tous les rois de l'Asie. Tu as envahi notre province de Macédoine et tu as privé les Grecs de leur liberté. Tu n'as commencé à te repentir et tu n'as demandé à Archélaos d'intervenir en ta faveur que quand j'ai repris la Macédoine et la Grèce livrées à ta violence, tué cent soixante mille de tes soldats, et pris tes camps avec tout leur matériel. Je suis étonné que tu veuilles maintenant chercher à justifier les actes pour lesquels tu as demandé le pardon par l'intermédiaire d'Archélaos. Si tu me craignais à distance, penses-tu que je sois venu près de toi pour avoir une discussion? Le moment de celle-ci est passé quand tu as pris les armes contre nous, et nous avons vigoureusement repoussé tes assauts et nous les repousserons jusqu'au bout''.

Nicomede IV roi de Bithynie

Ce dialogue, tiré sans doute des Commentaires de Sylla, est enjolivé de manière à magnifier les dons de diplomatie de l'ancien dictateur. Dans les faits, Sylla continua à parler et Mithridate finit par accepter de ratifier les clauses de son traité. Ayant enfin entendu la réponse qu'il attendait, l'Imperator lui rendit son salut, lui donna l'accolade, fit approcher Nicomède et Ariobarzane et les réconcilia avec lui. Lucius Cornelius Sulla en avait fini avec Mithridate et pouvait désormais se consacrer à ses ennemis romains. Après cet entretien, il écrivit officiellement une lettre au Sénat pour lui demander de ratifier son traité de paix avec Mithridate. De son côté, Mithridate lui donna les 70 navires demandés, sans doute les 2000 talents réclamés, puis repartit pour le Pont avec ce qui restait de son armée et de ses navires.

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