SYLLA SUICIDE FIMBRIA

Avec les 70 navires laissés par Mithridate, qui était en fait la flotte que commandait Archélaos, plus 500 archers, Sylla prit la mer en direction de la province d'Asie, et plus précisément de Fimbria. De leur côté, ses soldats n'appréciaient pas que leur général fasse la paix avec Mithridate qui restait impuni de ses crimes, alors qu'eux ne rêvaient que d'aller dans le royaume du Pont pour s'emparer des trésors que Mithridate avait entassé. Certains pleurèrent de rage en voyant Mithridate s'éloigner. Sylla du trouver un subterfuge pour convaincre ses légionnaires de renoncer à cette guerre. Il leur dit donc que si Mithridate et Fimbria l'avaient attaqué en même temps, ils n'auraient pas pu leur résister. Par là même, il leur enjoignait de l'aider à punir Fimbria de ses crimes et leur dit qu'ils auraient d'autres occasions de s'enrichir encore avant de rentrer en Italie.

Depuis la mort de Flaccus, Gaius Flavius Fimbria, avait envoyé une lettre au Sénat pour demander à le remplacer. Le Sénat, dominé par Cinna et Carbo, accéda à sa demande, et fit de lui le nouveau général chargé de la guerre contre Mithridate, mais aussi le nouveau gouverneur d'Asie. Ce qui fait que la province d'Asie se retrouvait avec deux gouverneurs. Et cette situation était très loin de plaire à Sylla…

A l'automne, Sylla trouva Fimbria en train de camper sous les murs de la ville de Thyatire, en Lydie. Fimbria avait appris que Sylla et Mithridate avaient conclu un accord, aussi, il voulait marcher sur le Pont et combattre lui-même Mithridate. Mais à Thyatire, c'est Sylla qu'il trouva… L'Imperator fit édifier son campement non loin du sien et lui ordonna de lui remettre son armée, au titre qu'elle revenait de droit au proconsul d'Asie, c'est-à-dire à lui, et qu'il violait la loi romaine en venant avec une armée sur un territoire dont il avait la charge. Fimbria lui répliqua ironiquement que lui-même commandait illégalement puisqu'il avait été déclaré ennemi public. Cela, Sylla l'ignorait encore! Quand il l'apprit, il se jura qu'une fois qu'il en aurait terminé avec Fimbria, il écrirait une nouvelle lettre officielle au Sénat pour réclamer son retour en grâce. Il se sentait trahi et humilié par ses pairs et sa vengeance allait être terrible…

Un cistophore de Fimbria

En attendant, Sylla mis en oeuvre sa tactique diplomatique préférée: débaucher les soldats du camp adverse. Pour cela, il envoya ses légionnaires creuser des retranchements autour du camp de Fimbria. Pendant ces travaux, les soldats des deux camps en vinrent à discuter, ceux de Sylla vantant évidemment les mérites et les grandes largesses de leur général en chef. Le résultat ne se fit pas attendre: les soldats de Fimbria désertèrent en masse pour passer à Sylla. ''Fimbria rassembla le reste et les invita à rester avec lui. Comme ils refusaient de lutter contre des concitoyens, il déchira sa tunique et implora ses hommes un par un. Comme ils se détournaient toujours de lui et qu'ils désertaient en plus grand nombre, il circula parmi les tentes des tribuns, acheta certains d'entre eux à prix d'argent, convoqua de nouveau une assemblée et obtint qu'ils jurassent de rester avec lui. Ceux qui avaient été subornés, crièrent que tous devaient être appelés un par un pour prêter serment. Il appela ceux qui avaient reçu de lui par le passé des faveurs. Le premier appelé s'appelait Nonius qui avait été son compagnon de toujours. Comme même lui refusait de prêter serment, Fimbria dégaina son épée, menaça de le tuer et il l'aurait fait s'il n'avait pas été alarmé par les cris des autres et n'avait été obligé de renoncer. Alors, il persuada un esclave, avec de l'argent et la promesse de la liberté, d'aller chez Sylla en faisant semblant de déserter et de l'assassiner. Mais cet esclave au moment de passer à l'action, prit peur, et c'est ainsi qu'on le soupçonna. Il fut arrêté et avoua. Les soldats de Sylla qui étaient postés autour du camp de Fimbria furent emplis de colère et de mépris à son égard. Ils l'invectivaient et le surnommaient Athénion, un homme qui par le passé avait été pendant quelques jours le roi des esclaves révoltés en Sicile'', relate Appien. Fimbria avait osé envoyer un esclave pour assassiner Sylla!

Esculape

Fimbria ne pouvait envoyer ce qui restait de ses deux légions combattre les cinq légions de Sylla, ses hommes risquant de refuser le combat. Il n'avait désormais plus d'autre choix que de capituler. Au comble du désespoir, Fimbria s'avança jusqu'à la limite des tranchées creusées par Sylla pour réclamer une entrevue avec lui. Mais Sylla n'avait aucune envie de le rencontrer et, pour le remettre à sa place, il lui envoya un de ses légats, Rutilius. ''Fimbria fut déçu d'abord de ne pas être considéré digne d'une entrevue alors qu'on en donnait à l'ennemi. Comme il demandait le pardon pour des offenses dues à la jeunesse, Rutilius promit que Sylla lui permettrait d'aller jusqu'à la mer en toute sécurité s'il prenait un navire pour quitter la province d'Asie dont Sylla était le proconsul. Fimbria répondit qu'il avait un meilleur itinéraire. Il alla à Pergame, entra dans le temple d'Esculape et se tua avec son épée. Comme la blessure n'était pas mortelle, il demanda à un esclave d'enfoncer l'arme. Ce dernier tua son maître, et puis se tua lui-même. Ainsi périt Fimbria, qui après Mithridate, fit le plus de dégâts en Asie. Sylla donna son corps à ses affranchis pour l'ensevelir, ajoutant qu'il n'imitait pas Cinna et Marius, qui avaient privé beaucoup de gens à Rome de leurs vies et de sépulture après leur mort. L'armée de Fimbria passa de son côté, lui jura fidélité, et il les adjoignit à ses propres troupes'', raconte Appien.

Fimbria mort, Sylla ordonna d'abord à son légat Scribonius Curio, qui était désormais chargé du commandement des anciennes troupes de Fimbria, d'aller remettre Nicomède sur son trône de Bithynie et Ariobarzane sur son trône de Cappadoce. Ensuite, le proconsul s'attacha à ramener dans le giron de Rome les villes d'Asie qui résistaient encore. Sylla du faire assiéger plusieurs villes et finit par les piller tant elles montraient de mauvais volonté pour céder. Au début de l'hiver, toute la province était enfin pacifiée. Le général ramena vers Ephèse des légions harassées, en manque de vivres, mais aussi et surtout de vêtements chauds. Sylla avait donc envoyés des courriers vers la proche cité Smyrne afin d'obtenir quasiment du secours! ''La nouvelle de nos besoins avait été apportée à Smyrne au moment où le peuple était assemblé, et aussitôt tous les citoyens s'étaient dépouillés de leurs habits pour les envoyer à nos légions", rapporte Tacite. L'armée romaine pu donc gagner Ephèse dans de bonnes conditions.

SYLLA GOUVERNEUR D'ASIE

An de Rome 670 (-84): Arrivé à Ephèse, capitale de la province d'Asie, Sylla commença à réorganiser l'Asie, c'est-à-dire à s'attacher spécifiquement à sa tâche de proconsul, au nom du Sénat romain, refusant de se considérer ennemi public. Il avait ainsi décidé de ne pas rentrer à Rome sans avoir remis en ordre la province dont il avait la charge. Il lui fallait avant tout défendre sa dignitas, c'est-à-dire la valeur morale la plus importante aux yeux de la vieille noblesse romaine dont il était issu. La dignitas, c'était un ensemble de réputation, de valeur, d'actes réalisés tout au long de sa vie, de respect, de dignité, dont les meilleurs synonymes sont honneur, fierté, mérites personnels. Tout romain possédant un tant soit peu d'amour propre était prêt à s'exiler, comme Metellus Numidus et son fils Metellus Pius, ou à se suicider s'il le fallait, comme Catulus ou Merula, pour protéger sa dignitas. Ainsi, Sylla mettait-il un point d'honneur à s'acquitter de sa charge en Asie avant de rentrer à Rome châtier ses ennemis.

L'hiver s'annonçant rude, Sylla accorda tout d'abord une récompense royale à ses soldats. Pour punir les Asiatiques d'avoir assassinés tous les Romains de la province, il leur ordonna d'héberger chez eux ses légionnaires. En outre, ''il ordonna que chaque soldat recevrait par jour de son hôte quatre tétradrachmes, avec un souper pour lui et pour autant d'amis qu'il voudrait amener; que chaque officier aurait par jour cinquante drachmes, avec une robe pour rester dans la maison, et une autre pour paraître en public'', souligne Plutarque. Ensuite, ''il répartit son armée dans toutes les villes, et fit une proclamation disant que les esclaves qui avaient été libérés par Mithridate devaient être immédiatement renvoyés à leurs maîtres. Beaucoup désobéirent et certaines villes se révoltèrent, plusieurs massacres s'ensuivirent, massacres d'hommes libres et d'esclaves, sous divers prétextes. Les murs de beaucoup de villes furent démolis. Beaucoup d'autres villes furent pillées, et leurs habitants vendus comme esclaves. Les partisans de Mithridate, hommes et villes, furent sévèrement punis, et particulièrement les Éphésiens, qui dans leur adulation servile pour le roi, avaient profané les offrandes romaines dans leurs temples'', rapporte Appien.

La ville d'Ephese

Enfin, Sylla convoqua les principaux citoyens de la province à Ephèse et s'adressa à eux depuis une tribune: ''Nous sommes venus la première fois en Asie avec une armée quand Antiochos, roi de Syrie, vous dépouillait. Nous l'avons chassé et avons fixé les frontières de son territoire au delà du fleuve Halys et du mont Tauros. Nous n'avons pas pris possession de vous quand nous vous avons délivrés de lui, sauf que nous avons attribué quelques territoires à Eumène et aux Rhodiens, nos alliés dans la guerre, non comme tributaires, mais comme clients. En voici la preuve: quand les Lyciens se sont plaints des Rhodiens, nous avons privés ces derniers de leur autorité. Telle fut notre conduite envers vous. Mais vous, quand Attale Philomêtôr nous a laissé son royaume en héritage, vous avez aidé Aristonicos contre nous pendant quatre ans. Quand il fut capturé, la plupart d'entre vous, poussés par la nécessité et la crainte, sont revenus dans le droit chemin. Malgré tout cela, vingt-quatre ans plus tard, quand, arrivés à une grande prospérité, vous avez embelli vos édifices publics et privés, vous vous êtes de nouveau laissés aller à la facilité et au luxe, et vous avez saisi l'occasion, alors que nous étions occupés en Italie, pour appeler Mithridate et invité d'autres à le rejoindre quand il est arrivé. Le plus infâme de tout, c'est que vous avez obéi à l'ordre qu'il a donné de tuer dans la même journée tous les Italiens de vos villes, y compris les femmes et les enfants. Vous n'avez pas même épargné ceux qui s'étaient réfugiés dans les temples consacrés à vos propres dieux. Vous avez été d'une certaine façon punis pour ce crime par Mithridate lui-même, qui s'est renié, vous a donné une indigestion de pillage et de carnage, a redistribué vos terres, a remis les dettes, libéré vos esclaves, désigné des tyrans chez certains, commis des vols partout sur terre et sur mer. Vous avez alors compris immédiatement par l'expérience et la comparaison quel genre de défenseur vous aviez choisi à la place de l'ancien. Les instigateurs de ces crimes ont subi de notre part un châtiment. Il est nécessaire aussi que vous subissiez un châtiment commun, car vous êtes tous coupables, et qui corresponde à vos crimes. Mais plaise au ciel que les Romains n'aient plus jamais à imaginer de carnage, de confiscation aveugle, d'insurrections serviles ou d'autres actes de barbarie. J'épargnerai donc maintenant la nation grecque et son nom tellement célébré dans l'ensemble de l'Asie, et pour cette juste réputation qui est à jamais chère aux Romains, je vous ferai payer seulement les impôts de cinq ans à verser immédiatement, ainsi que le coût des dépenses de la guerre que j'ai faite, et de celles que je ferai pour régler les affaires de la province. Je répartirai ces impôts entre vous, selon les villes, et fixerai la date du paiement. Je punirai ceux qui désobéissent comme s'ils étaient mes ennemis''.

En tout, Sylla réclama à l'Asie la colossale somme de 20 000 talents, et pour organiser au mieux cette collecte d'impôts, il partagea la province en 44 circonscriptions fiscales. ''Les villes, accablées par la pauvreté, empruntèrent à des taux élevés et hypothéquèrent leurs théâtres, leurs gymnases, leurs murs, leurs ports et toute autre propriété publique, pressées par des soldats plein de mépris. L'argent fut donc rassemblé et apporté à Sylla'', rapporte Appien. Cependant, le gouverneur ''accorda la liberté aux habitants de Troie, de Chios, de Lycie, de Rhodes, de Magnésie et à quelques autres, en récompense de leur coopération ou des grandes souffrances qu'ils avaient endurées pour lui, et les inscrivit comme amis du peuple romain'', rapporte Appien. Et pendant l'hiver, Sylla n'oublia pas d'adresser sa lettre à ce Sénat qui l'avait déclaré ennemi public…

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